Analyse : L'Allemagne, une transition en question
Bien qu’assurée sur le fil de la première place du groupe, l’Allemagne a vu sa maîtrise aller decrescendo au fil de ses trois matchs de poule. Le modèle de jeu rigide mais sensé de Nagelsmann se heurte à des limites individuelles, en même temps qu’il semble enfermer certains offensifs dans un carcan limitant.
Comme du papier à musique
C’est une sensation dont on ne peut se départir après les premiers matchs de la Mannschaft : la précision horlogère de son animation offensive. Les Allemands appliquent la même disposition et récitent quasiment le même football à chaque action, dans une organisation définie et relativement rigide :
- Trois défenseurs centraux (Kroos – Tah – Rüdiger)
- Une pointe basse fixe face à eux (Andrich)
- Deux latéraux hyper larges (Kimmich – Mittelstädt)
- Quatre offensifs sur un petit espace, environ 15m (Wirtz – Gündogan – Musiala, et le 9 Havertz).
Bien que le modèle soit prévu, l’Allemagne ne se limite pas à une multiplication de passes courtes. À cet égard, deux aspects sont assez nets : D’abord la qualité du jeu long de Rüdiger et Tah, qui trouvent souvent la profondeur sans que leurs passes ne se désaxent trop, ni qu’elles soient trop longues.
Ensuite la fréquence et l’intensité des courses en profondeur offertes par les quatre offensifs. Comme vu dans notre analyse du jeu (pour le coup aux antipodes) de la Hongrie : un éventail large - mais tout de même limité - de solutions.
Un jeu long et direct qui déséquilibre d’ailleurs l’Écosse très tôt, avec Rüdiger qui trouve Wirtz lancé.
En se présentant avec un bloc relativement haut, l’Écosse fait les frais de ce travail de sape, finissant par ouvrir un espace entre ses lignes, dans lequel Wirtz porte le premier coup fatal, compromettant largement l’approche réactive des hommes de S. Clarke.
Un but qui fait suite à cinq minutes sans la moindre passe réussie par les coéquipiers de McGinn et Robertson, témoin d’une domination totale, axée sur une phase offensive ultra-préparée et travaillée.
"Faire" vaut mieux que "savoir quoi faire"
Forcément, pour installer une domination aussi totale, les hommes de Nagelsmann se devaient d’être tout aussi irréprochables en possession que sur leur comportement à la perte et donc avant la perte, ce qui motivait cette structure rigide.
Leur seconde sortie face à la Hongrie porte le sceau d’un match déjà bien moins survolé.
Opposé à un bloc plus bas, les coéquipiers de Kroos vont garder la maitrise du cuir et du territoire, mais peiner à imprimer le rythme entrevu face aux Écossais. Avec un plan cohérent, ils finissent par punir la passivité et la réactivité du 5-4-1 Hongrois.
Cela dit, lorsque que l’on examine les moments de flottement, on s’aperçoit que c’est surtout la phase de transition défensive qui pèche. Ce qui est relativement paradoxal, compte tenu du modèle de jeu ultra-prévu à cet égard de Nagelsmann, dans lequel chaque joueur a un cahier des charges très précis à la perte du ballon.
Les Allemands ont fait face à trois adversaires défendant en 5-4-1 dans cette poule, et on peut penser que le set-up entrevu dans cette phase de poule y est pour quelque chose. Nécessairement, avec cette sortie de balle en 3 + 1, chaque "défenseur" (Kroos – Tah – Rüdiger) a un joueur à fixer et (donc) à récupérer en cas de perte de balle (chaque attaquant du 5-2-[3] adverse), Andrich agissant quant à lui comme le joueur supplémentaire qui va permettre de créer une couverture et donner l’équilibre. 3+1 contre 3.
Problème : tout cela n’est que pure théorie.
Le "qui fait quoi" ne vaut pas grand-chose si ce qui est fait en théorie n’est pas fait en réalité.
Et la notion de "récupérer" un joueur n’implique pas automatiquement que ce joueur va être neutralisé ou empêché de jouer vers l’avant.
C’est précisément le problème que va rencontrer l’Allemagne face aux Hongrois, dont le dynamisme offensif vaut autant en transition offensive qu’en attaque placée.
Illustration à la 14e minute sur un ballon vertical perdu :
Cadrer sans limiter : un excès de désengagement
L’écueil auquel se heurte pour l’instant l’Allemagne n’est pas tant tactique que technique : l’adversaire est pris en terme de schéma au moment où il récupère le ballon. Il l’est juste de façon trop passive par les relanceurs de la Mannschaft.
Face aux Suisses, l’histoire se répète sur l’ouverture du score : Opposés à un pressing plus fort que face aux Hongrois, mais plus orienté homme et plus agressif que face aux Écossais, les Allemands, bien qu’un peu plus tranchants avec ballon - vont en perdre quelques-uns – ce qui est inévitable – mais ce sont à nouveau les attitudes, individuelles, très passives et zonales, qui interpellent.
Cadrer un joueur sans intervenir est une chose, mais l’arrière garde allemande, à commencer par Rüdiger, abuse certainement de ce parti pris mesuré.
À nouveau, la dimension symétrique et positionnelle du jeu allemand est criante dans la distribution de Toni Kroos, au langage corporel plus appliqué et moins relâché que dans l’animation offensive fluide et mobile du Real. Ballon perdu à la faveur d’une prise à deux avec Rieder, alors que Musiala est durement tamponné par Freuler.
La suite confirme l’excès de passivité entrevu sur les temps forts des Hongrois :
La transition défensive de l’Allemagne fonctionne, mais encore une fois, c’est plus l’application technique que la stratégie tactique qui va poser problème.
Micro-tactique et diplomatie : quelle marge de manœuvre pour Nagelsmann ?
L’Allemagne est aujourd’hui dans un relatif doute, à l’approche des 1/8e. Bousculé par son vestiaire au Bayern, en dépit d’un travail tactique remarquable, Nagelsmann – on ne se refait pas – conserve une dimension "détails", et basée sur l’adversaire dans son approche. En témoigne la défense à 3 Rüdiger – Andrich – Tah que les Allemands ont déployé en phase défensive face aux Suisses.
Quelle marge de manœuvre le technicien de 36 ans possède-t-il pour redresser la barre, au moment de recadrer un Kroos ou un Rüdiger s’il estime que ses instructions ne sont pas suivies avec assez d’investissement par des Allemands qui ont prouvé leur intégrabilité tant en sélection qu’en club ces dernières années ? Le prochain match, où la Mannschaft devra faire sans Tah (qui fera donc changer de côté à Rüdiger avec la probable promotion de Schlotterbeck) nous le dira.