Analyse tactique Bayern vs Real : Asymétrie et talent individuel détruisent les équilibres défensifs
Dans cet affrontement entre deux blocs défensifs compacts en 4-4-2, l’enjeu offensif était le même pour les deux équipes : une occupation trop scolaire et trop "égale" de la largeur aurait sans doute permis à l’équipe qui défend de créer la densité nécessaire du côté de balle pour être à l’équilibre.
D’une façon différente et toutes les deux avec succès, les deux équipes ont donc surchargé le côté de la balle, quitte à donner à leurs animations offensives des airs de désordre. De chaque côté, les défenses furent exposées et ont eu beaucoup de mal à rester en contrôle de la profondeur, y compris lors de la préparation des actions, avec pour conséquence de donner aux offensifs de chaque camp des moments de grandeur, dont la Champions League a l’exclusivité.
L’asymétrie du Bayern : l’aide de Musiala et Sané brise le pressing du Real
Organisé en 4-2-3-1 face au 4-4-2 à plat du Real, l’enjeu pour le Bayern était d’abord de sortir de la pression "totale" des madrilènes, dans un affrontement tactique qui – à priori – ne lui offrait pas de supériorité numérique à l’initiation des actions.
Avec ses deux centraux (Dier – Kim) et ses deux 6 (Goretzka – Laimer), la première proposition de Tuchel était un carré devant Manuel Neuer. De cette façon, le Bayern forçait Tchouameni ET Kroos à sortir sur le double pivot, sans quoi le jeu au pied du gardien allemand aurait facilement trouvé un des deux 6 si le seul Kroos sortait, alors que Bellingham et Vini allaient presser Dier et Kim. Nécessairement, avec cette pression totale (4 vs 4), il faut bien qu’une aide vienne d’ailleurs pour en sortir. Avec des rôles plutôt intérieurs, Sané et Musiala sont venus surcharger le cœur du jeu et épauler Goretzka et Laimer d’une façon très efficace. Cassant une première fois le pressing du Real pour la première grosse occasion de Sané.
C’est le même rapport de force qui produit la première occasion de Sané dans la première minute, sauf que Tchouameni choisit de changer le marquage de Goretzka à Sané, laissant le milieu libre face au jeu (ce qui explique certainement son choix ci-dessus).
C’était encore plus net à droite : le parti pris de Tuchel est clair : du monde côté-ballon, pour empêcher tout surnombre madridiste. Le simple fait que Kimmich ou Mazraoui se rende disponible au large pour une passe dans les pieds ne suffit pas pour déséquilibrer le Real : il suffirait à Valverde ou à Rodrigo de rester compact et de sortir les cadrer sur le temps de passe. En étant plus dense autour du ballon, le Real aurait pu se montrer conquérant sans le cuir.
Dans un style offensif qui rappelle celui d’Unai Emery, Tuchel va densifier le côté de la balle et l’axe, quitte à sacrifier un peu du côté opposé, donnant un visage asymétrique à son équipe, avec des joueurs plus ou moins sur les mêmes ligne horizontales et verticales. Cela a donné des angles de passe complexes, mais la pression du Real fut tout de même surpassée.
Bien entendu, ce sont les joueurs et non les systèmes qui règlent ces problèmes géométriques. Sané a une remarquable capacité à se retourner vite, même totalement dos au but. Dans son rôle d’ailier gauche, ses caractéristiques matchent parfaitement avec l’animation du Bayern.
Après la pause, Guerreiro remplace Goretzka dans une formule plus proche d’un 4-3-3 / 4-1-2-3, avec le Portugais et Müller derrière Kane, et Sané (désormais à droite) et Musiala sur les ailes. Les deux seront décisifs dans une formule un poil plus "positionnelle", avec Laimer en pointe basse.
Le deuxième but est un exemple parfait de ce que Tuchel a cherché, et trouvé, avec ce 4231 à mi-chemin avec le 4-3-3 :
L’asymétrie libre du Real : Récital de Kroos, exhibition de Vini et cauchemar de Kim
Dans une formule légèrement moins mécanisée, les enjeux étaient les mêmes pour le Real. Capables d’être tranchants en contre, les Madridistes ne sont jamais aussi dangereux que lorsqu’ils repassent intelligemment à l’attaque placée après un temps faible et une transition offensive rapide, volontairement avortée. C’est sur ce rythme qu’ils ouvrent le score à l’Etihad, et qu’ils ont marqué d’innombrables buts en attaque placée depuis trois saisons et la campagne victorieuse de 2022.
Autour de la charnière centrale, Kroos et Tchouameni ont bougé avec énormément de liberté et il suffit que l’un d’entre eux (surtout l’Allemand) se retrouve face au jeu pour qu’un immense sentiment de flottement accompagne la défense adverse.
On le voit sur l’ouverture du score : Vinicius a une qualité d’accélération digne des meilleurs attaquants au monde et ne fait pas détail devant le but. Sans le ballon, T. Tuchel avait la claire intention de faire avancer son bloc (et donc sa ligne défensive) pour mettre le Real sous pression en isolant ses attaquants par le hors-jeu. C’était clair dans les indications du technicien depuis le banc.
L’ouverture du score décrit le rapport de force entre cette volonté et la capacité des madrilènes à non-seulement sortir facilement de la pression mais aussi à peser sur la dernière ligne adverse. Tout cela en conservant l’équilibre entre les joueurs qui décrochent pour sortir de la pression et ceux qui vont se joindre aux attaquants, à commencer par les latéraux Vazquez et Mendy, dont l’apport offensif est énorme.
Les madrilènes vont enchainer une dizaine de passes avec énormément de calme, même lorsque les solutions manquent.
Pendant la circulation, on peut noter l’ultra-prudence de Kim, qui recule face à la menace profondeur, incarnée par Vinicius mais également par Bellingham :
This Kroos pass to Vinícius’s goal from this angle is just incredible. pic.twitter.com/3RxI5yS3IV
— 𝙇𝘽𝙕 (@losblancoszone) April 30, 2024
El pase de Kroos es una maravilla, pero la jugada se la inventa Vinicius.
— Mourinhismo𓃵 (@Mourinhismo__) May 1, 2024
Yo no entiendo donde aprende estas cosas, el repertorio que tiene aumenta cada partido, no he visto nada parecido en el fútbol.
El pobre coreano va a tener pesadillas un mes.pic.twitter.com/NDYnq5Chaz
Football 101 – Sortir de la pression et aller marquer des buts
L’état de fait le plus violent pour la défense du Bayern : que ce soit sur le 2-2, ou sur le 0-1, l’action fatale est à chaque fois précédée d’une terrible somation sur la séquence précédente.
Sur l’ouverture du score, sur un ballon reçu entre les lignes, alors que Kim – logiquement – ne sort pas, Vinicius Jr va éliminer Laimer, et sa prise de vitesse va mettre l’ancien Napolitain à la faute. Influant certainement sur la prudence excessive – et fatale – du Coréen sur l’action suivante.
Sur le 2-2, au sortir d’un gros temps faible, c’est Modric, remplaçant de Kroos qui va trouver Vini Jr. dans un angle impossible. Quelques minutes plus tard, sur une attaque placée, Vinicius invente une passe en plein dribble pour Rodrygo à l’arrêt et l’erreur grossière de Kim, qui ceinture Rodrygo, offre un penalty au Real, alors que le Bayern avait bien corrigé le tir défensivement.
La capacité à défendre en avançant et à ne pas se faire "étendre" par le jeu de position ou de relation polymorphe du Real sera certainement un enjeu de l’entre-deux-matchs pour Tuchel et ses défenseurs.
Au-delà de cela, le contenu du match nous apprend, ou nous confirme – c’est selon – que le jeu appartient aux joueurs, et que leurs caractéristiques, leur intuition, leurs préférences motrices conditionnent les plans des entraineurs et leur réussite.
Vinicius n’est pas orienté de ¾ lorsqu’il se tourne avant le 1-0, pas plus que Sané sur ses actions réussies en tant qu’ailier gauche, raison pour laquelle il dissuade Vazquez de sortir, ce qui va lui permettre de prendre de la vitesse.
Pour autant, les fondamentaux seront toujours les mêmes dans les rapports de force qui régissent le match entre deux blocs, et le Real – tombeur de City – donne le sentiment d’être toujours capable de créer l’amalgame entre bon sens tactique, puissance physique, endurance, courage et efficacité pour se sortir de toutes les situations.
À voir si le Bayern saura – tout au long du match – et sans une concentration fluctuante, à nouveau faire déjouer et déséquilibrer le roi d’Europe.