Andrej Kramaric, la boussole d'Hoffenheim
Si l'international croate du TSG revient régulièrement dans nos briefings et nos débriefings de Bundesliga, c'est qu'il demeure le leader et la métronome d'une équipe qui, actuellement 5e au classement, est l'une des bonnes surprises des premiers mois de la saison.
Il fait partie, sur le terrain, de cette catégorie de joueurs qui donnent au football toute sa dimension. Pour le TSG Hoffenheim, Andrej Kramaric, l'un des tous meilleurs éléments offensifs du championnat d'Allemagne depuis de nombreuses années, est une bénédiction. Le service de communication du club de l'ouest de l'Allemagne a du reste encore brûlé un petit bout de cierge aujourd'hui même sur son site internet, publiant une interview de son trentenaire chéri sur le thème des records. Le Croate est naturellement un leader dans le jeu, mais c'est aussi un leader d'opinion. Avec lui, les statistiques sont secondaires, tout du moins relatives. Kramaric fait le jeu, Kramaric sent le jeu, Kramaric est le jeu. Bien sûr, son 300e match de Bundesliga, mi-décembre à Sinsheim contre le HSV (4-1), fut en soi un petit événement : les Allemands sont friands de ce genre de “jubilés” et, avec 129 buts inscrits et 68 passes décisives depuis ses débuts chez les Kraichgauer en janvier 2016, le chiffre se laisse effectivement apprécier.
Au-delà de ses exceptionnelles qualités de joueur, le vice-champion du monde 2018 a la parole qui porte, d'autant qu'elle se passe volontiers de filtre. Or, en une année civile, le discours de Kramaric a radicalement changé de teinte. Alarmiste il y a un an à la suite d'une déroute contre le Bayern (0-5), précisément le 15 janvier, s'agitant tel un épouvantail dans la bise hivernale face aux affres d'une potentielle, sinon plausible, relégation, il a retrouvé une vive flamme, ce mois-ci, laissant affleurer des rêves de Ligue des champions. Autant la claque reçue contre les Munichois, embrasée d'un improbable double de Leroy Sané – un genre d'humiliation, en somme –, justifiait de crier au loup, autant la douce euphorie de cet hiver semble presque devoir aller de soi elle aussi : au classement, le TSG ne compte que deux petits points de retard sur les places qualificatives pour la prochaine C1, avec de surcroît une différence de buts adéquate.
« Rêver d'une place en Ligue des champions »
« Si je dis tout ce que j'ai présentement dans la tête, je vais probablement récolter la plus grosse amende de l'histoire de la Bundesliga », avait bouilli notre homme devant les médias il y a un an. « Nous avons investi une telle quantité d'argent pour rien... Le danger que nous soyons relégué est bien réel. » À l'époque, l'entraîneur Christian Ilzer venait d'arriver en provenance de son pays natal, l'Autriche, et tâtonnait sévère pour trouver un style et une équipe. S'il n'avait pas, pour une fois, pratiqué une dose d'autocensure, Kramaric aurait certainement dézingué dirigeants, recruteurs, staff et coéquipiers d'une seule rafale ce jour-là. Il s'est retenu et le TSG s'est maintenu, 15e, trois points au-dessus du barrage.
Un an plus tard, l'effectif profondément renouvelé est nettement plus à la main d'Ilzer, qui a imposé son style à une troupe qui le suit. Les fantômes des défaites à domicile sont du passé, les tauliers répondent présents avec constance, les jeunes s'illustrent. Kramaric a logiquement, mais radicalement, changé de ton. « Je dois féliciter la direction », a-t-il expliqué au moment de fêter sa 300e. « Elle a réussi des transferts estivaux incroyables. Nous avons enrôlé une foule de nouveaux éléments et on voit la différence sur le terrain. Je ne veux pas me répandre en compliments excessifs mais nous pratiquons un football au top. En conséquence, nous devons rêver d'une place en Ligue des champions. Avec un peu de chance, nous pouvons y arriver. Et ce serait mérité : nous jouons très bien, que ce soit avec ou sans le ballon. » Et le Croate d'ajouter, en point d'orgue à ce concert d'optimisme : « Je m'en étais déjà aperçu au cours de la préparation estivale. »
2018, le précédent Nagelsmann
Du haut de ses 34 ans – qui, selon ses dires, n'ont pas l'air de lui peser –, Kramaric sait de quoi il parle. En 2018, il faisait partie de la troupe qui termina 3e de Bundesliga, cornaquée par un certain Julian Nagelsmann, et qui avait donc goûté à la Ligue des champions quelques semaines plus tard. Christian Ilzer, lui, n'a pas encore le culot de claironner un tel discours et préfère garder la tête dans le guidon du quotidien. « Il faut rester focus », se méfie-t-il, « car le football est une affaire hebdomadaire et les choses peuvent tourner très vite. » Un discours convenu mais qui fait sens aux yeux de l'Autrichien, qui identifie des failles dans le jeu de son TSG. « Sous notre meilleur jour, nous pouvons nous affirmer contre n'importe quelle grosse écurie mais, sinon, nous pouvons perdre contre n'importe qui », soupèse-t-il en bon disciple de La Palice qui s'ignore. « Mais en ce moment, nous allons de l'avant », admet-il.
La capacité de sa troupe à se relever d'une défaite fait partie des bons signes. Celle consistant à proposer à l'adversaire un jeu moins lisible aussi. À Sinsheim, les visiteurs hésitent : le TSG peut casser un bloc bas mais sait aussi punir les tactiques trop téméraires. La concurrence qui s'est installée au sein de l'effectif est positive aussi : Kramaric lui-même n'est pas assuré de démarrer. Mais « l'extrême professionnalisme » du Croate, selon les termes de son entraîneur, rejaillit sur ses partenaires plus que jamais, quoi qu'il arrive. « Je n'aurais pas rêvé atteindre ce chiffre immense des 300 matches un jour », a lâché en décembre l'international aux 112 sélections, comme reconnaissant de la fidélité d'un club qui, néanmoins, n'a pas encore prolongé son contrat. Notre homme en est certain, il va « profiter du football encore de nombreuses années ». Reste à savoir où, et dans quelle compétition européenne.