Çalhanoglu : le maître-bombardier de l’Inter que le PSG devra surveiller de très près
Sorte de Pirlo ou de Juninho des temps modernes, Hakan Çalhanoglu a atteint sa pleine mesure sous Inzaghi à un poste inattendu, et jouera sa deuxième finale de Champions League en trois ans face au PSG. Sa capacité à allumer à distance, ainsi que ses compétences sur phases arrêtés seront certainement des points d’inflexion de la finale. Excellent frappeur, le Turc a l’une des techniques de tir les plus sophistiquées du circuit
De Mezzala à Regista
Après plusieurs transferts déjà marqués du sceau de la controverse, Hakan Çalhanoğlu choisit, à l’été 2021, de ne pas prolonger son bail à Milanello, et – alors qu’Eriksen et Conte s’en vont – pose ses valises chez le cousin honni, en même temps que son entraineur, arraché à la Lazio. Rencontrant enfin la stabilité chez les Nerazzurri, le Turc a trouvé sa place, et finalement pas au poste où on pouvait l’attendre, au sein du 3-1-4-2 du technicien romain.
D’abord meneur de jeu aux côtés de Vidal et Barella, devant Brozovic, il va, à la suite des blessures du pivot croate, peu à peu se stabiliser dans le rôle de regista (meneur de jeu reculé), pour en enfiler définitivement ce costume à l’été 2023, après le transfert du vice-champion du monde, parti rejoindre CR7 à Al Nassr. En osmose avec son manager, Çalhanoglu "fit" parfaitement avec les nécessités verticales et dynamiques de l’Inter, dont le 6 se veut mobile, apte à jouer sous pression, et capable de challenger immédiatement la défense adverse, si les circonstances le dictent. Dans un football sans confort, où la profondeur est bien plus au service du jeu placé que l’inverse.
Alors que le football d’Inzaghi a évolué vers toujours plus de liquidité collective – malgré cette station plus basse que prévue – Çalhanoğlu tutoie la dizaine de buts annuelle. Portant ce total à 14 en 2024, malgré l’arrêt prématuré du parcours européen. Bien que les penalty (domaine où il excelle) y jouent pour beaucoup, avec 4 ; 8 ; 14, et cette saison 11 réalisations, auxquelles on peut ajouter 31 passes décisives sur ses quatre saisons, Çalhanoğlu reste décisif, et indispensable à l’Inter, aussi par ce qu’il apporte sur les phases arrêtées.
Une technique de tir atypique et iconoclaste
Cette verticalité et cette capacité à attaquer le dos des blocs adverses – aptitudes collectives auxquelles Calha n’est pas bien sûr pas étranger – poussent logiquement l’opposition à basculer en bloc bas, par stratégie ou nécessité ponctuelle. À ce moment, malgré son rôle en théorie très bas, le Turc se retrouve à bonne distance pour allumer, alors que l’adversaire s’agglutine devant son point de penalty. Une prérogative omniprésente dans le football constamment connecté avec le but adverse que déploie l’Inter. Et un exercice dans lequel Çalhanoğlu use de sa morphologie compacte. Bien qu’il culmine à 178 centimètres du sol, le natif de Mannheim est très "court sur pattes".
En théorie, on apprend à un jeune footballeur que – selon une logique implacable - la surface sur laquelle il frappe le ballon est contraire à la direction que celui-ci va prendre. Ainsi, c’est en le prenant par en dessous qu’il va raisonnablement monter. Dans une optique d’équilibre, le bras opposé à la jambe qui frappe est sensé monter, dans l’alignement de la jambe d’appui, et prolonger une trajectoire dans laquelle s’insère la jambe de frappe, qui monte jusqu’aux fessiers, avant de se rabattre sur le ballon dans une rotation inverse à celle du bras équilibreur, qui redescend.
Une gestuelle qu’on retrouve notamment chez Beckham, dont l’iconique geste est désormais gravé dans l’imaginaire collectif. Ainsi, ce bras est un indicateur précieux pour le gardien ou l’adversaire, soucieux d’anticiper la trajectoire et la destination du ballon. Et s’il se lève très haut, c’est bien pour se rabattre, et donc l’indice d’un ballon qui va monter.
Par ce travail d’équilibre classique, le haut du corps, ou du moins la sangle abdominale, est au service des jambes. La force monte, et redescend dans la jambe de frappe, qui balaie le ballon. Petites mais très puissantes, les jambes de Çalhanoğlu – et notamment la gauche, qui lui confère un ancrage hyper solide – lui offrent d’autre possibilités.
Si le footballeur enfant apprend nécessairement un geste cloisonné pédagogiquement, le footballeur adulte doit, lui, maitriser un certain nombre de leviers qui vont lui permettre d’envoyer de fausses informations à l’adversaire. Quitte à bafouer ses premières leçons.
C’est net chez le Turc, alors que le Barça de Xavi se replie, voyant son pressing fendu par l’Inter : Toute la préparation de son geste indique à Ter Stegen et ses coéquipiers un ballon qui va monter pour chercher le côté ouvert.
Il n’en sera rien : Dans une contorsion dont il a le secret, l’ancien Hambourgeois va réorienter son pied d’appui (qui lui sert de gouvernail), et finalement frapper le ballon par le centre, et non par le bas. Sans perdre trop de puissance, Çalhanoğlu rabat la balle vers le soupirail droit (côté fermé) de Ter Stegen, battu à plates coutures.
On voit bien ci-dessous que les bras sont emportés par le bas du corps, qui fait tout le travail, dans ce mouvement de rotation nécessairement sec. Horaires, ils vont à rebours des jambes, qui se rabâtent vers la gauche pour propulser le cuir.
D’où la position golumesque de ce poignet droit, qui initie cette baffe inversée, permettant d’équilibrer cette frappe. On notera aussi le petit saut, certainement utile pour ne pas prendre le ballon trop par en dessous. Ce qui serait fatal, avec le coup du pied.
Il y a un mois, c’est Mike Maignan qui subit une mésaventure similaire en coupe à San Siro : Sur ce ballon qui revient dans des circonstances similaires, on voit bien qu’il envisage une trajectoire légèrement extérieure, tout comme Thiaw qui vient s’opposer à Çalhanoğlu en fermant le côté ouvert, et prévoit un ballon partant sur la gauche du portier tricolore.
Orienté cette fois-ci de face, Calha trouve le moyen de traverser le ballon en plein centre, du cou-de-pied, et fait bien en sorte de se trouver au-dessus de celui-ci. La frappe, surpuissante et parfaitement équilibrée, ne laisse aucune chance au gardien français.
Comme on l’a vu, sans impliquer le haut de son corps, la force du bas lui permet déjà de générer la puissance nécessaire pour marquer, malgré une orientation contraire, qui lui sert à mentir. Mais lorsqu’il fait face à la trajectoire qu’il va choisir, et qu’il n’a pas besoin de masquer ses intentions, le Turc envoie de véritables missiles.
Même config’ à Naples l’an dernier où, après la remise astucieuse de Barella, Meret envisage d’être pris "grand côté". Avec seulement deux pas d’élan, Calha délivre un Tomahawk imparable.
Une trajectoire légèrement extérieure, qui mérite d’être prise au sérieux, témoin ces deux roquettes, face au Barça dans le même match, et face à Milan, lors de la tempête initiale en demi aller :
Trajectoires flottantes
Çalhanoglu ne s’en cache pas, et cela se devine aisément : il s’est largement inspiré de Juninho. Si le Lyonnais savait frapper de toutes les surfaces, il s’est surtout distingué par sa maitrise du tir que les anglophones appellent "knuckle ball".
Une technique qu’on retrouve dans le jeu face au Chievo :
Alors que Lucho a assigné Vitinha à un rôle clair de 5e défenseur lorsque les Gunners s’installaient dans le camp adverse, il est fort possible qu’un ballon donné en retrait offre ce type d’angle au Turc, alors que Donnarumma avait fait parler son envergure et ses réflexes face à Ødegaard.
Un mensonge du corps bien utile sur corner
L’Inter a marqué sur deux corners en cinq minutes contre le Bayern, avant de récidiver par deux fois au Camp Nou en demi-finale (sur deux corners tirés au total ce soir-là). N'y allons pas par quatre chemins : c’est la meilleure équipe d’Europe sur coups de pieds arrêtées.
À chaque fois, c’est un coup de pied tiré sortant qui a fait la différence, et deux de ces quatre balles salvatrices venaient de la droite, et étaient donc l’œuvre du droitier Çalhanoglu.
Que ce soit à Montjuic, ou à San Siro, on retrouve une trame commune dans la stratégie interiste : attirer au premier poteau pour tirer au second, ou au poteau du milieu. Il est évident que tirer au premier poteau est plus dangereux, car le ballon peut se permettre d’être tendu, et n’aurait alors besoin que d’être touché pour faire mouche. D’où la nécessité pour la défense de blinder cette zone pour se prémunir de ce scénario.
Naturellement, et c’est l’objet de maintes analyses, les mouvements déceptifs des joueurs de l’Inter vont faire leur œuvre pour leurrer le Barça, mais un autre argument va beaucoup jouer, sinon plus, pour les convaincre de se ruer au vers le premier poteau : l’élan et la gestuelle du tireur. Lisible, un ballon lobé fait figure de plateau-repas pour le gardien à ce niveau.
C’est très net sur le but imparable de Pavard : tout indique dans la course d’élan et la gestuelle de Çalhanoglu qu’il va tirer tendu. Son élan est court et vif, son corps raide et droit et son bras ne monte pas.
Alors que le bras s’était levé pour finalement tirer "tout droit" face à Ter Stegen, le bombardier turc produit ici le mensonge inverse. Il garde un bras gauche très neutre, mais va bel et bien passer en dessous du cuir.
Bien entendu, les trois appels au premier poteau font également leur œuvre pour permettre à Çalhanoglu de tendre ce piège.
On voit bien que tout le Bayern s’attendait à un ballon tendu : au premier poteau Goretzka et Kane sont en alerte, l’Allemand, fait même le geste de se baisser pour dévier de la tête. Dans la même logique, Kim semble certain qu’il ne va pas être concerné par ce ballon, en apparence tendu, et donc certainement coupé avant d’arriver dans sa région.
Sur sa ligne, Urbig se met d’ailleurs en "croix" comme pour se préparer à dévier un ballon coupé depuis cette fameuse zone décisive au premier. D’ailleurs le placement du ballon, loin du point de corner, est également l’indice d’un tir tendu.
Il n’en sera rien bien entendu, et le portier n’a plus pour seule option que d’écarter les bras, avant d’être exécuté, depuis une zone où il aurait surement pris l’initiative de sortir s’il avait su la véritable trajectoire.
Une roublardise qu’on retrouvera également face au Barça, surpris deux fois au second poteau…
…Et qui était déjà de mises il y a deux ans, lorsque Dzeko surprenait l’AC Milan, lançant les hostilités d’une demi-finale où l’Inter corrigera le cousin "à domicile", avant de filer à Istanbul.
La force au service de la précision
Si les propriétaires d’échasses comme Lewandowski ou Olise bénéficient de la force centrifuge des clubs de golfs qu’ils ont à chaque hanche, et ont le loisir d’utiliser leurs jambes comme des crosses de hockey, Çalhanoglu présente quant à lui un profil totalement différent.
Trapus, et montés sur de courtes fondations, les physiques comme le sien doivent eux générer la même puissance avec de petits membres inférieurs. D’aucuns établissent que tout vient de la force : équilibre, souplesse, précision. Capable de recruter toutes ces compétences sans faire appel à ses bras, Çalhanoglu, en dépit d’un recours moins fréquent que ses ainés aux coups francs directs, reste la pièce maitresse de l’Inter, meilleure équipe du monde dans le domaine.
Un statut qu’il assume en duo gaucher-droitier, avec Dimarco, qui présente d’ailleurs un profil biomécanique similaire. En jouant de sa capacité à générer de la force sans mobiliser ses bras, le Turc s’en sert pour feinter, et tromper gardien et défenseurs, soit en les ouvrant pour finalement tirer tendu, soit en les cachant pour finalement lober et surprendre l’adversaire resté figé dans l’attente d’une trajectoire rectiligne. Le tout grâce à cette force.
À 31 ans, il aura – à nouveau chez lui – l’opportunité de valider le prime atteint à l’Inter, dans un match où son rôle sur phases statiques pourrait bien être déterminant, tant on a vu, tout au long du parcours de l’Inter à quel point la précision du Turc pouvait inverser la dynamique de parties, sur le papier, extrêmement délicates pour les noirs et bleus.