Décryptage de la révolution Xabi Alonso au Real Madrid
Alors que l’injection de ses idées verticales s’opère dans un timing précipité par le Mondial des Clubs, Xabi Alonso opère une double révolution au Real. Celle de la défense à trois, et plus largement d’un football plus mécanisé. C’est le sens de la vision de Florentino Perez, et de son ambition de transition post-Ancelotti. Qualifié pour les quarts de finale où il retrouvera le BVB, le Real a encore beaucoup de marge, mais développe déjà un certain nombre de schémas et de logiques collectives portant le sceau de l’ADN à la fois tranchant et méticuleux, qui ont fait le succès du coach Basque en Rhénanie.
Retour vers le futur
Si ce système fut brièvement bricolé par Zidane lors de son second passage sur le banc la Casa Blanca, déployer une défense à trois, relève de la révolution culturelle dans un club où les éléments défensifs sont traditionnellement plus des urgentistes permettant d’assumer un déséquilibre permanent, que la base d’un projet minutieux dans lequel l’individu serait subordonné au collectif.
Mise à part cette parenthèse peu glorieuse face à la bande à Timo Werner, il faut remonter aux mythiques années 2000 pour retrouver le Real de Del Bosque déployer un back5.
En Allemagne, Xabi Alonso a basé son jeu offensif sur le regroupement bien pensé d’éléments offensifs hyper vifs et rapides, et ses accomplissements historiques portent le sceau d’une verticalité féroce, qui a mis tant de défenses au supplice, en créant - même sur deux ou trois mètres-carré - des dilemmes insolubles pour les centraux, bien incapables de deviner quelle option allait être choisie entre la passe longue et mi-longue claquée par Xhaka, Tapsoba et consort.
Au-delà de sa connaissance de la maison en tant que joueur, c’est cette dimension tranchante qui le relie à l’ADN madridiste, auquel les CR7, Vinicius et autres Bale ont donné ses plus récentes lettres de noblesse, dans un style toujours fougueux et galopant.
À défaut d’être totalement improvisé, le style dans lequel Ancelotti a ajouté deux nouvelles C1 (2022, 2024) au cabinet de trophées navarrin était relativement adaptatif et circonstanciel. En plus de la révolution qu’il opère sur le système de jeu, Xabi Alonso doit également trouver le bon mix entre l’individu et le collectif avec une approche plus rationnelle, théorisée et mécanisée, dans laquelle ses deux superstars offensives ne pourront se raisonnablement se comporter comme des éléments interchangeables, à l’avant de son 3-4-1-2 caractéristique.
XabiBall 2025
Cette approche, souvent (mais pas toujours…) basée sur une défense à trois, est avant tout fondée sur la recherche de supériorités numériques sur de petits, voire très petits, périmètres. Tiraillés entre s’aligner, reculer et sortir au duel, les centraux adverses sont souvent perdus, et Xabi Alonso table de toute évidence sur cette confusion qu’il génère.
Si l’on devait la résumer par une seule idée offensive, cela pourrait être l’entassement (voire l’alignement) d’éléments tranchants face à la défense adverse, pour mieux la confondre et détruire ses repères. Avant qu’elle soit idéalement fendue par la passe juste. A défaut, la crainte générée doit permettre de trouver la pièce maitresse créative entre les lignes.
Aligné comme une sorte de 10 de ce 3-4-1-2 (comme Zidane en son temps) Bellingham endosse ce costume, et sa position interligne (ou plutôt, face aux défenseurs) est autant au service de la profondeur, menacée par les deux attaquants, que l’inverse.
À Leverkusen, Grimaldo et Frimpong, d’abord pistons très plongeants du 3-4-1-2, ont fini littéralement attaquant axiaux, alors que le système a basculé vers un 4-2-1-3 (donc avec en quelque sorte trois avant-centres) qui faisait la part belle à Wirtz en 10, alors que Tella était accompagné devant par les flèches hollandaises et espagnoles d’Alonso. C’est le cas plus haut face à l’Atleti.
Précision importante : cette organisation à quatre derrière permettait à Xabi Alonso, entraineur extrêmement prudent défensivement – en dépit de la narration sexy qui l’accompagne – d’aligner parfois jusqu’à huit joueurs purement défensifs, donnant ainsi à son 5-4-1 sans le cuir des airs de bunker.
Pour faire simple : en 3-4-1-2, Xabi entassait trois joueurs dans l’axe de l’attaque. En basculant en 4-4-2/4-2-1-3, il s’offrait la possibilité d’en entasser quatre. Bien entendu, les caractéristiques défensives de l’adversaire orientent le choix d’une option ou de l’autre.
On l’avait vu ici face au Bayern : cette fameuse densité caractéristique de l’ancien 6 de la Real, peut se déployer à différents endroits du terrain (dans l’axe ou au large) lui permettant de s’adapter à l’organisation adverse, et de varier ses attaques. Face au 4-4-2 labélisé taureau ailé de Salzburg, et face au 5-4-1 de Tudor, on pouvait déjà distinguer deux approches offensives distinctes, visant à créer les conditions de cette fameuse densité face à la dernière ligne adverse.
Densité axiale – densité latérale
Ainsi, la 3e sortie en phase de poule du Real – décisive pour la qualification – face aux Autrichiens a laissé entrevoir une organisation ficelée en fonction du 4-4-2 très zonal et compact opposé par Salzburg. Devant le back3 [Hujsen – Tchouameni – Rudiger], se déploie un double-pivot [Güler – Valverde], alors que Bellingham se tenait en soutien du duo [Vini – G. Garcia]. Sur les flancs, Trent et Fran Garcia occupaient – en apparence – une largeur maximale, mais à y regarder de plus près, leur asymétrie s’accordait avec celle du reste de l’équipe
Comme évoqué plus haut, alors que l’animation offensive penche logiquement sur le côté gauche de Vinicius, le méticuleux cahier des charges offensif Xabiesque prévoit de varier une densité offensive latérale et axiale. Face au bloc compact et aux deux défenseurs centraux de Salzburg, c’est clairement l’axe qui est choisi par le Real.
Alonso va fixer le double pivot adverse avec sa paire Güler – Valverde, et alors que les deux attaquants pèsent plus ou moins sur toute la défense, Bellingham (en théorie) va se rendre disponible dans ce menu couloir vertical axial, pour ouvrir une passe claquée au sol sur un quinzaine de mètres. Mobilisé par l’urgence de contenir les courses de Vini et G. Garcia, les centraux ne peuvent pas sortir sur Bellingham.
Les Madrilènes vont répéter avec un certain succès ce mécanisme, tout en injectant quelques variations. D’ailleurs, le schéma ci-dessus en est une, car Güler et Valverde vont plus souvent occuper des positions assez fixes dans l’axe, mobilisant à la fois le duo d’attaquant cherchant à les isoler, et le duo de 8 cherchant à leur sortir dessus, comme on le voit ci-dessous.
Parmi les mouvements alternatifs, on verra souvent le métronome turc venir se glisser presque aux côtés de Tchouameni, offrant ainsi la possibilité à Hujsen (DC gauche) de devenir le quasi-latéral d’un 4-2-4, alors que Fran Garcia était, du coup, poussé d’un cran pour mobiliser avec encore plus d’impact le latéral droit autrichien.
On aperçoit à 28’21’’ ci-dessous le moment mis en lumière plus haut avec la ligne Arda – Bellingham, finalement refusée par le Turc, qui ira chercher G. Garcia, qui tentera de tirer profit de sa proximité avec Vini et Bellingham, alors que Gadou n’avait d’autre choix que de s’engager, un minimum, vers l’avant.
Une variation courante en Rhénanie, avec Xhaka dans le rôle de Arda, Hincapié dans celui de Hujsen, et Grimaldo dans celui de Fran.
Bien entendu, le jeu long et direct vers la profondeur doit être activé assez fréquemment pour que cette menace verticale produise l’effet dissuasif recherché, ce qui va être le cas avec Bellingham et Vinicius, recherchés ainsi à plusieurs reprises.
Face aux Turinois d’Igor Tudor, on va retrouver ce schéma en quasi 4-2-4 de façon assez nette, avec un clair rôle d’arrière gauche pour Hujsen, comparable à celui d’Hincapié dans la même organisation à Leverkusen. Ainsi, alors qu’Arda et Tchouameni produisent – de fait – un deux contre un face à Kolo Muani, on va retrouver Fran très haut pour fixer Costa (latéral droit) alors que Vinicius va venir se joindre, sur le couloir gauche, à son latéral, et (donc) à son central gauche.
Le Real créera tout de même un temps très chaud à droite, sur un modèle comparable de création d’espace, avec Bellingham qui va faire sortir le DC gauche adverse, avant que Valverde ne s’engouffre dans l’espace crée, pour retrouver l’Anglais :
Les conditions météo ainsi que la verticalité (ne serait-ce que potentielle) du Real ont certainement poussé les Turinois à une station très basse et passive sur le pré. Un affrontement assez cynique qui annonce certainement la couleur de certains chocs pour le Real cette année, alors que les sorties de Leverkusen face à l’Inter ou encore l’Atletico l’an dernier, comme vu plus haut, avaient donné lieu à des matchs assez tactiques avec de longs temps de jeu défensifs des Allemands.
Le Bunker de Chamartín ?
L’enseignement de ce 1/8e est plutôt défensif : au-delà des différents facteurs (chaleur, calendrier) qui pourraient orienter les uns et les autres vers une approche économe sans le cuir, le coach Madrilène pose les jalons de l’approche ultra-réactive qui était parfois la sienne en Rhénanie dans les gros matchs. Globalement, le 5-4-1 qu’il déploie en phase défensive est extrêmement prudent dans sa gestion de la profondeur. Une fois replié, on peut vite retrouver des profils comme Arda ou Valverde joindre à la défense pour former ce fameux 6-2-2, qui pourrait être à propos lors de grandes soirées européennes.
Face au Autrichiens, les Madrilènes vont d’ailleurs aligner quatre minutes consécutives sans le cuir en fin de premier acte. Juste après ce temps faible accepté, c’est du bloc bas que partira le contre assassin conclu par Vinicius.
Apte à déclencher au moment propice son pressing haut, le Real va d’ailleurs clore les débats sur une transitions offensive haute, capitalisant à nouveau sur ses nouvelles habitudes de densité et combinaisons axiales.
Une densité qui lui est bien entendu très utile à la perte, comme l’indique ici, la suite de la combinaison, vue plus haut avec le face à face de Vini avec le gardien. Compact dans l’axe avec ballon, les Madrilènes le récupèrent vite après l’avoir perdu, et on voit que leur piston gauche attaque directement le but, dans un schéma de "largeur minimum" fréquemment de mise avec Grimaldo et Frimpong.
Tradition et modernité
En empochant la moitié des douze dernières LDC distribuées, le Real Madrid - à défaut de jouer au petit bonheur la chance - a renvoyé bien des théoriciens à leurs études. Cela dit, dans un football toujours plus préparé, la concurrence féroce que lui livrent ses adversaires le pousse à vivre avec son temps, et à développer un projet basé sur un modèle propre.
Détruit par le Barça au Bernabeu et surclassé par Arsenal en C1 après avoir miraculeusement évité la porte face à l’Atlético, il ne peut plus se permettre un jeu – même partiellement – improvisé, alors que ses triomphes post CR7 – Ramos étaient déjà le fruit d’une domination beaucoup plus limitée dans le temps à l’échelle d’un match. Dans ce contexte, Xabi Alonso incarne à priori le compromis parfait entre culture maison et prérequis modernes.
Au Bayer, il est parvenu à sublimer ses individualités tout en construisant un collectif hyper-solide, couronné de succès retentissants. Tout indique qu’il transpose dans un certaine mesure ce projet de jeu au Real. Dépourvu de l’étiquette d’outsider, le Basque le sait mieux que personne : il va découvrir une nouvelle forme de pression et d’hostilité sur ce nouveau banc, où plus encore qu’ailleurs, l’entraineur ne vit que de victoires. Expérimenté et armé tactiquement, il aura l’occasion face à Dortmund - dans un match tout sauf amical - de faire un pas supplémentaire vers un premier trophée. Avant de se lancer à la poursuite du Barça de Flick, dans un choc des cultures qui sera certainement l’une des oppositions les plus excitantes que nous réserve le foot européen la saison prochaine.