Harry de Bavière - 9 multifonction au sommet de son art
À 32 ans, Harry Kane est dans la forme de sa vie pour sa deuxième saison au Bayern, qu’il a rejoint pour tout gagner. Avec son profil hybride, aussi bien tactiquement que morphologiquement, l’Anglais est de plus en plus difficile à étiqueter, entre vrai 10 et faux 9, et même 6/8 à temps partiel, dans un Bayern plus liquide que jamais. Goleador, passeur et même organisateur, le Londonien truste le statut de meilleur attaquant de la planète. Avant le Klassiker de samedi, focus sur les rôles, et la large palette du Prince Harry.
Nous le développions il y a peu, le Bayern de Vincent Kompany, dans sa dernières mise-à-jour, a ajouté une bonne cuillère de Feijoada à son Sweinshaxe. D’une façon remarquable et spectaculaire, les Allemands ont adopté le style de jeu brésilien, popularisé par Fernando Diniz et son Fluminense.
Moins rigide que d’autres approches offensives en vogue, ce style fait la part belle aux parti-pris "anti-positionnels", comme une extrême densité de joueurs autour du ballon, et une disposition plus proche de la "diagonale" de joueurs que de la juxtaposition symétrique de triangles équilatéraux. Créant ainsi la plateforme idéale, pour des combinaisons plus intuitives que jamais sur de longs couloirs verticaux ou diagonaux, comme de subtils appuis-remises/déviations, ou encore le fait de laisser passer le ballon entre les jambes. Le but inscrit par les (vrais) Brésiliens à Séoul cette semaine et l’incarnation de ces brochettes, qui s’opposent aux triangles de Guardiola :
Position et rôle dans le Brazil München
Forcément, dans une machine de guerre européenne, rationnelle et cartésienne, même avec ce style empreint de fantaisie, la frontière entre improvisation et structure est ténue, et on peut tout de même établir un certain nombre d’habitudes. Un aspect survit à la mutation "relationniste" de l’été 2025 : le "double faux-9".
Pour faire simple : qu’il soit associé à Gnabry (en feu ce début de saison) ou à Nico Jackson, Harry Kane n’est pas plus un 9 qu’un 10, et il est même parfois nettement plus proche de Ballack que de Klose, lorsqu’aligné avec le 9 Sénégalais, comme ce fut le cas à Hoffennheim. L’Anglais évolue systématiquement plus bas que ses ailiers.
Une organisation conçue pour perturber la défense et créer, soit des 1 contre 1 périlleux pour les latéraux avec les ailiers Bavarois, soit à connecter un des faux-9, si la défense centrale adverse choisit de le laisser libre pour rester alignée et couvrir les latéraux face aux ailiers bavarois.
— PrimerToque (@PrimerToque) October 14, 2025
Ainsi, alors que le Bayern grossit le trait de ces décrochages de ses attaquants avec son style brasileiro, l’activité de Kane (et parfois même de son partenaire d’attaque) se déplace encore plus vers le cœur du jeu, et quasiment par séquences vers un rôle surréaliste de milieu défensif organisateur.
Ci-dessous, on voit l’Anglais se joindre au cœur du jeu, alors qu’Olise et Gnabry fixent haut et large la défense adverse. Le décrochage de Kane rend l’équation impossible pour le milieu de Chelsea, dont le pressing vole en éclat. Boey est connecté à l’intérieur, et Olise va finalement combiner avec Kane – sur le même mode que la Seleção plus haut - pour créer une énorme occasion.
— PrimerToque (@PrimerToque) October 14, 2025
On le voit dans cette séquence, ce parti-pris ne l’empêche pas pour autant de se trouver en position idéale pour "stater" : une fois l’ailier plongeant (ou un autre joueur…) connecté face au jeu ou trouvé lancé dans la profondeur - amorçant ainsi un retour en catastrophe de l’adversaire vers son propre but - Kane suit le mouvement, en restant un peu plus en retrait.
L’Anglais se trouve alors en position idéale, à l’entrée de la surface, pour faire étalage de son arsenal technique, à commencer par une technique de frappe signature, redoutablement efficace.
Grand, mais terrien
On en avait fait usage au moment de profiler Olise et Lewandowski : les préférences motrices et la morphologie des joueurs offrent une grille de lecture efficace pour décrypter leurs habitudes, et la mécanique corporelle qui s’enclenche pour permettre leurs frappes, passes, dribbles etc. En théorie, les joueurs les plus grands ont un centre de gravité plus haut, et sont plutôt aériens, par opposition aux terriens, plus bas et plus ancrés.
Culminant à 1m88, mais plutôt monté sur de courtes jambes en opposition à un buste assez long, Kane incarne bien le mix entre le joueur terrien, plutôt court sur patte (Messi/Hazard), et aérien, sur de longues échasses (Olise / Lewandowski). L’Anglais profite de ce "double-profil" pour développer une palette de tir et de passes ultra-large, qui présente les points forts des deux profils.
Pour faire clair : les terriens sont plus à l’aise pour abaisser leur centre de gravité et jouer du poids de leur corps. Alors que les aériens ont l’avantage (grâce à leurs longues jambes) de pouvoir catapulter le ballon, dans un mouvement plus droit, voire raide, même sans élan ou sans prendre trop de vitesse.
C’est sa grande force : Harry Kane, faux-terrien, ou "terrien mais grand", est capable de faire les deux : Tirer à l’arrêt, et travailler son ballon. Buteur face à Tottenham cet été, Kane laisse entrevoir une logique aérienne, dénuée de toute forme d’abaissement, propre aux profils terriens. Il contrôle sans prendre beaucoup de vitesse, et "balaye" efficacement le ballon, malgré un contrôle "à l’arrêt", sans trop de dynamisme.
Cela dit malgré sa grande taille, il a énormément de caractéristiques et d’aptitudes d'un joueur terrien. Parmi les distinctions théorisées entre les deux catégories : Le terrien est à l’aise dans la flexion. L’aérien dans l’extension.
C’est très clair avec Messi dans ce but iconique : le terrien, ferme son geste, mais il a besoin d’un certain élan pour tirer fort :
L’aérien, quant à lui, ouvre son corps. Il est à l’aise pour tirer fort à l’arrêt, avec des segments plus longs. Mais cette posture est moins propice à un tir enveloppé, sur lequel il faut – nécessairement – se pencher pour enrouler le ballon :
Une technique de frappe unique et redoutable
Harry Kane est grand. Ses jambes sont donc "assez grandes" pour faire du Lewandowski. Elles ne sont petites que proportionnellement. Dans le même temps, son centre de gravité bas, et sa propension, son aisance, à se pencher vers l’avant lui permettent de faire du Messi, ou du Hasard. Il est bel et bien terrien.
L’Anglais domine son ballon, et – dans cette fameuse position entrée de surface, où il finit les actions, comme expliqué plus haut – développe une technique de frappe absolument redoutable, qui lui permet de masquer ses intentions de façon hyper efficace.
Qu’il soit à gauche ou à droite de l’arc de cercle, l’ancien Spur arme de façon à s’offrir deux choix clairs et distincts, qui vont lui permettre de mentir au gardien : Enrouler au premier poteau, ou enrouler côté opposé.
Comme illustré ci-dessous, il peut dégainer non seulement des deux pieds, mais également des deux surfaces (intérieur ou extérieur) du pied, pour lui donner cette trajectoire courbée.
Bref, beaucoup de possibilités, et une géométrie insoluble pour les gardiens et les défenseurs. Illustration :
Kane va opter pour son spectaculaire exter’ pour un but magnifique.
This angle for @HKane Low Driven shot! 🥶 pic.twitter.com/hs4TsPq8uB
— FC Bayern (@FCBayernEN) October 6, 2025
Cette large palette est encore plus intéressante lorsqu’on la met en perspective avec d’autres buts inscrits depuis la même zone. On le voit clairement sur cet angle : Theate s’empresse de venir fermer le premier poteau, croyant à un tir enroulé dans cette partie du but (le tir numéro 1 sur le schéma plus haut). Il fait nettement le geste de contrer la frappe avec son pied gauche, certain que Kane va opter pour cette trajectoire. Il n’en sera rien le Londonien optant pour la frappe légèrement éxter’, enroulée également, mais au second.
Face au Flamengo cet été, Kane met à exécution la menace à laquelle croit le défenseur Belge ci-dessus. Il choisit d’enrouler "classique" un ballon rentrant, qui fuit en apparence le cadre avant d’y finir sa trajectoire.
Et pour cause, Kane, avec sa technique mi-aérien/mi-terrien, fait ici croire à une frappe croisée avec son bras gauche qui se lève, mais surtout avec l’armée de sa jambe. Frapper à l’arrêt est le privilège des aériens, que Kane – en quelque sorte – imite. Il referme son geste comme le terrien qu’il est, tout en mimant la "catapulte" de l’aérien. Il n’a pas besoin de ce bras pour le tir qu’il va opérer, mais plutôt pour croiser puissamment côté opposé. La contorsion qu’il opère lui permet de faire croire au gardien à cette option, pour finalement opter pour le premier poteau.
Encore plus effrayant : dans le même match, l’Anglais avait activé exactement la même mécanique, du pied gauche.
C’est également très net ci-dessous : on voit le portier et le central droit de Flamengo, anticiper un tir au second poteau, avant que Kane ne rabatte la trajectoire pour viser le premier, extérieur du gauche. Ajoutant ainsi un nouvel arc (sortant) à la rosace de frappes illustrée plus haut.
Kane opère à la manière d’un joueur aérien : on voit qu’il n’a pas besoin d’élan pour propulser le cuir. Tout en étant capable de travailler son ballon comme un terrien. Capable de choisir la partie du but qu’il va viser au tout dernier moment, il n’est pas étonnant de constater que Kane est certainement actuellement le meilleur tireur de penalty de la planète.
Un seul point faible ?
Bien que terrien, comme Hazard, Messi et consort, Kane, qui trimballe une carcasse assez massive avec son grand buste, n’a bien sûr pas grand-chose de la mobilité – et de la capacité de prise de vitesse – des coyotes cités précédemment.
En ce sens, on peut considérer qu’il a le défaut de l’aérien. Lors de son succès à l’Allianz de l’aller l’an dernier, l’Inter avait clairement fait le choix de laisser Kane relativement libre sur ses décrochages, préférant se concentrer sur Kimmich et Olise, jugés plus aptes à donner du rythme, si servis dans les pieds.
Et c’est l’un des points où l’évolution vers toujours moins de structure fixe du Bayern fait le plus de sens pour l’Anglais : il peut apporter son aide au cœur du jeu – parfois carrément comme un 6 – mais n’a pas forcément la charge de prendre de la vitesse balle au pied.
À l’arrêt, il peut très bien faire valoir sa qualité de passe exceptionnelle, avant de déferler vers le but, alors que quatre ou cinq joueurs devant lui ouvrent de l’espace…Si tant est qu’il ne les ait pas déjà envoyés vers le but. Une aptitude qu’il exprime également sur les contre-attaques du Bayern.
Alors que le Bayern a l’occasion de prendre une sérieuse option sur le Meisterschale samedi, il sera intéressant de voir les choix de Niko Kovac pour tenter de limiter le Prince Harry et l’animation offensive du Bayern, avant que l’escadron bavarois ne se lance à la conquête du règne continental.
Capitaine des Three Lions, Harry Kane convoitera, quant à lui, un autre trophée encore plus prestigieux, l’été prochain en Amérique du Nord.
