Analyse tactique : La Hongrie ou l'ambassadeur européen du jeu relationnel
C'est un obstacle de taille qui se dresse sur le chemin d'une Nati privée de certitude défensive : L'équipe d'Europe centrale qui joue le football de Rio de Janeiro. Sans doute l'une des attractions de cet Euro.
Après des années où le point de repère pour l'équipe qui attaque était la position sur le terrain incluant les joueurs dans des structures relativement rigides, la Hongrie de Marco Rossi s'épanouit avec fluidité autour d'une toute autre référence : le ballon.
Position vs Relation
Bien des thèses ont fleuri sur la standardisation du jeu de position. Comme les modes sont cycliques, et les certitudes fragiles en sport, les dernières années ont vu émerger un football différent. Moins symétrique, plus dynamique, et peut-être moins prévisible. Dans une configuration où l’on formalise, et analyse, même ce qui tente d’échapper à la machine rationnelle, indissociable de l’exercice du commentaire – et on laissera volontiers le lecteur pointer du doigt l’absurdité de cette démarche – une terminologie a émergé pour qualifier ce style de jeu : On parle de "relationnisme" ou de "jeu relationnel", par opposition au "jeu positionnel".
La Hongrie de Marco Rossi s’inscrit dans cette dynamique, et semble être le porte-étendard européen de ce style fortement lié au Brésil, à travers son histoire, mais également son présent, avec le Fluminense de Fernando Diniz.
Fluminense 'Wheel' at state finals, vs Flamengo pic.twitter.com/K4T0SksyqN
— Vmoura 🇭🇺✝️ (@Vmoura97) November 8, 2023
@GitsJunior
— Steve Ruigu Njuguna (@Joashnjuguna) November 8, 2023
Relationism from the build up sense.
Diniz calls this, ‘The wheel’
Drop a midfielder into your box during the goalkick sequence to confuse the opponent and render their press useless as they will either follow too aggressively or leave space.
pic.twitter.com/Q31zJl5NTA
Les récents adeptes de ce "nouveau" style offensif ne manquent pas : Arsenal, l’Ajax de Ten Hag, l’Atalanta, et plus récemment le Bologne de Thiago Motta, ou tout simplement le Real Madrid, sont parmi les ambassadeurs de ce football moins régulier.
Mouvements variés et multiples dimensions
Comme nous l’avions vu il y a quelques semaines en nous penchant sur Arsenal, "relationnel" rime logiquement avec "rotationnel".
En allant chercher des positions moins attendues, les premiers relanceurs hongrois se donnent la possibilité de jouer vers l’avant en perturbant les repères défensifs (tel homme dans tel espace) de l’adversaire. En même temps qu’ils sont libres dans leurs mouvements (et donc libres d’occuper la même zone, et d’aller vers le ballon), chaque mouvement en implique un autre.
Le premier qu’on peut identifier est celui de Styles, habitué à former avec Nagy un double pivot polymorphe. Le milieu Anglais (d’origine hongroise), s’intègre souvent à la défense à trois, dans un rôle de central gauche, "poussant" ainsi souvent les deux centraux vers des rôles de quasi-latéraux. Ce qui a forcément une implication pour les pistons hongrois.
Ce qui est particulièrement intéressant : la conséquence de cette position très au large des centraux peut provoquer à la fois un surnombre sur un tout petit périmètre (tu viens là, et moi aussi), et une attaque de la dernière ligne, dans une logique plus positionnelle (si tu viens ici, je vais là-bas).
Face à la Serbie à Budapest, sur les deux buts, la déportation de Fiola (central droit) dans une zone très large à droite, pousse naturellement Négo (latéral droit) à attaquer la dernière ligne adverse.
La proposition collective se répètera sur les deux buts, mais pas le choix du porteur de balle (Fiola) : sur le premier on joue "court" dans les pieds, (voir ci-dessous), sur le second on joue plutôt long et en profondeur.
Le second but donnera lieu à une connexion directe Fiola -> Nego dans la même configuration. Le Havrais, lancé en profondeur, centrant dans la précarité pour Sallai, qui réglera par son talent et son instinct les problèmes géométriques causés par ses attaquants, plus ou moins sur la même ligne horizontale.
🇭🇺 𝐒𝐀𝐋𝐋𝐀𝐈 🤤🤤🤤#EURO2024 | #HONSER pic.twitter.com/XTppGcQWo0
— UEFA EURO 2024 🇫🇷 (@EURO2024FRA) October 15, 2023
On peut voir, avec certains temps de jeu du match aller à Belgrade, la multiplicité des options offertes par Nego et Kerkaz, sur le papier duo de pistons.
Cette fois-ci, le havrais va souvent venir au contact du porteur – en somme "aller au ballon", (sacrilège dans une perspective "jeu de position") pour créer ce fameux surnombre, (avec les deux 6 Nagy et Styles dans la même zone), de sorte que l’un des membres de ce petit groupe soit libéré, l’autre latéral (Kerkez) se lançant quant à lui vers le but, quitte à être hors-jeu.
#Studyingthegame: I #interviewed @osegundovolante, one of the main experts of #Functionalplay https://t.co/HfAjnuOqMW
— Michele Tossani (@MicheleTossani) March 24, 2023
Comme le dit Caio Miguel Pontes (@osegundovolante) le jeu relationnel vise un idéal de solutions illimitées, là où même le plus sophistiqué des jeux positionnels vise à créer un éventails (limité) de solution.
Après avoir logiquement fait reculer ce bloc fendu, on remarque que Sallai passe d’un registre d’ailier intérieur (ci-dessus) qui demande dans les pieds, à un appel extérieur qui fond sur le but, Nagy va recomposer.
On remarque que les Hongrois se "regroupent" à nouveau pour combiner.
Après de multiples feintes, il choisira de crocheter pour frapper du droit, profitant des courses de ses collègues.
Qu’est-ce donc que "l’échelle" ?
Comme le losange est la figure géométrique de référence du jeu de position, celle de du jeu de relation semble être la dite escadinha (échelle en Portugais).
Si l’on regarde les positions d’un latéral à l’autre sur la capture "radar" de début d’article, on voit bien un certain nombre de joueur alignés en diagonale de Négo à Kerkez.
So much of Brazil's attacking play in the 1978 World Cup was built around the dynamics of diagonal plays in the final third.
— Jamie Hamilton (@stirling_j) May 20, 2024
Escadinha/corta-luz combos, toco y me voy, tabelas , 3rd man runs and lay offs all emerge form relational out-to-in diagonal movements.
🇧🇷🪜↗️↖️ pic.twitter.com/yBhFwP8BCf
Comme l’indique cette guirlande – explicite sur la notion d’échelle – de Jamie Hamilton, référence du réseau social X (anciennement Twitter) sur le sujet, le jeu relationnel possède des points communs avec le jeu positionnel : lorsqu’un joueur a le ballon, ses partenaires lui offrent de multiples solutions.
I'm pretty sure this is uniquely brilliant (well not surprising for those of us who know him), but here we have the NT match analyst explaining the style change + #relationism, #Diniz they've implemented on the way to direct #EURO2024 qualificationhttps://t.co/KnHvtsPzoX https://t.co/FRXdUSX8oZ pic.twitter.com/fFf6MDA4dR
— Abel Meszaros (@BundesAbel) December 29, 2023
L’un des points de rupture entre les deux styles est le nombre d’options courte, ou plutôt mi- longues.
Là où le jeu positionnel offre au porteur trois passes identiques à 10 mètres, sur plusieurs couloirs verticaux distincts, le jeu relationnel va lui en offrir quatre sur un seul couloir vertical, en plus des multiples possibilités de conduire le ballon, jouer en remise sans se retourner, ou aller directement solliciter la profondeur. Exemples :
Manchester City 2019-20 (style positionnel) :
- Toutes options du porteur sont à distances quasi-égales
- Il n’y a pas vraiment de chemin direct vers la profondeur
City marquera via KdB après avoir progressé étape par étape dans le bloc londonien. D’ailleurs, le jeu de Man City a lui aussi évolué vers plus de "relationnisme", mais ce n’est pas le sujet.
En opposition, l’équipe ultime relationniste (l’Atalanta de Gasperini, ici époque Papu Gomez) :
Comme on le voit avec Papu Gomez, ce style est propice à l’émergence d’un "10". Platini, Zico et consort était les précurseurs de ce style réanimé par la Hongrie de Rossi.
Tigana/Giresse/Tigana/Giresse...
— Jamie Hamilton (@stirling_j) June 6, 2024
I play and I go to receive again at a future point.
Tabelas to climb the staircase along the out-to-in diagonal. pic.twitter.com/H0SnAEsHl2
Naturellement, dans cette Hongrie-là, c’est Szoboszlai qui porte cette charge. Comme l’indique l’extrait d’interview dans le tweet plus haut, son positionnement est libre. Face à la Serbie, on l’a même vu dans la surface pour sortir les ballons alors que la Hongrie variait ses sorties de balle. On le voit dans la capture ci-dessous, il est très mobile pour recevoir le ballon.
Cela dit, comme nous l’avons vu tout au long de cette analyse, le jeu Hongrois serait trop prévisible si "Szobo" ne recevait le ballon que dans les pieds… D’où l’intérêt de pratiquer ce jeu fluide, imprévu et envisagé rationnellement, mais mobile et développé spontanément…
Ce sera pour les hommes de Murat Yakin un défi particulièrement relevé d'arriver à appréhender ce football submersif...