Lennart Karl, l'étincelle
Son profil rappelle Lionel Messi, son talent Lamine Yamal, sa filière de jeu Arjen Robben et les opinions s'accumulent, en Allemagne, pour l'envoyer au Mondial 2026. Mais Lennart Karl, l'attaquant prodige de 17 ans, garde pour l'instant les pieds sur terre.
C'est devenu une habitude, presque un fil rouge. Il n'y a pas à remonter bien loin pour retrouver trace des étincelles de Lennart Karl sur un terrain. Mardi, en Ligue des champions contre le Sporting (3-1, score final), c'est lui qui, encore une fois, a mis le feu à la défense adverse. Si les tournants d'une carrière dépendent de signes du destin – ici, Luis Diaz suspendu pour son tacle mal maîtrisé sur Achraf Hakimi –, le petit bonhomme de 17 ans saisit sa chance comme personne. Buteur dès la 5e minute à l'issue d'un de ces rushes dont il a le secret, il n'a dû qu'à un très léger hors-jeu le refus de cette ouverture du score.
Celle-ci intervint plus tard, totalement contre le cours du jeu, lorsque les Lisboètes exploitèrent, sans avoir trouvé le cadre, une maladresse de Kimmich (0-1, 54e). Pas de quoi éteindre le flambeau de l'attaquant de 1,68 m, qui combinait avec Laimer pour donner l'avantage aux Bavarois après que Gnabry eut lui-même trouvé les filets (1-1, 64e, puis 2-1, 69e). En somme, Karl est décisif, match après match. C'est que son potentiel est sous-évalué, sauf en Bavière où son coach dose ses apparitions sans se priver de son zébulon pour autant.
Le précédent Musiala
Pourquoi Messi ? Pour sa précocité, une patte gauche magique, des appuis courts et une taille équivalente à un ou deux centimètres près. Pourquoi Robben ? Pour les mêmes appuis et une frappe enroulée diabolique, avec moins d'individualisme que le Néerlandais dans ses jeunes années. Souvent, et la saison dernière encore, le Bayern se montre rétif aux jeunes talents. Il faut vraiment la prodigiosité d'un Musiala pour émerger en équipe première au sein d'un club bourré de joueurs confirmés, même s'ils sont moins nombreux cette saison.
Beaucoup s'y sont cassé les dents. Au cours de la première année du bail de Vincent Kompany, en 2024-2025, les supporters ont attendu en vain un temps de jeu plus conséquent pour Adam Aznou, Tom Bischof, Arijon Ibrahimovic, Jonathan Asp Jensen, Nestory Irankunda ou autre Jonah Kusi-Asare. Passée la préparation d'avant-saison, les apparitions sur le terrain des ces gamins aussi doués les uns que les autres se sont résumées à la portion congrue. Pragmatique, l'entraîneur belge cherchait d'abord à s'installer par les résultats, qui font partie de l'ADN du club. Il n'y a guère à lui en tenir rigueur.
Gaucher diabolique
Cette saison, la donne a changé. Le Bayern assume son effectif aminci et son entraîneur s'appuie sur les jeunes du cru avec la bénédiction de la direction, manière de valoriser son centre de formation et de garder la maîtrise de son porte-monnaie. La différence est flagrante : Tom Bischof, 20 ans, arrivé en 2024 d'Hoffenheim, joue régulièrement au milieu comme en défense ; Jonas Urbig, 22 ans, arrivé en janvier de Cologne, aiguise ses gants dans les buts dès que Manuel Neuer a besoin d'une pause ; et surtout, Lennart Karl, formé en Bavière, crève l'écran depuis cet été. Au point, dans l'attente du retour de Musiala prévu en janvier au plus tard, d'alterner les titularisations avec Serge Gnabry et, si besoin, Luis Diaz.
Pour s'imposer au Bayern, il faut des dispositions particulières. “Karl der Grosse” (Charlemagne), comme le surnomment ses coéquipiers, promène un pied gauche magistral – « son arme absolue », dixit Leroy Sané – qui a très tôt impressionné ses aînés à l'entraînement. « Quand il prend la balle, ça finit dans le petit filet opposé », déguste Sané, parti cet été à Galatasaray. « Ça m'a toujours fait penser à Arjen Robben. Il a une qualité énorme. C'est un super gamin », esquisse l'ailier stambouliote.
Un quinquennat de maturation à l'Eintracht
En un trimestre, “Lenny” a vu sa valeur multipliée par quinze pour atteindre, en octobre, 20 M€, selon transfermarkt. Arrivé au Campus du Bayern en 2022, à 14 ans, en provenance d'Aschaffenburg, non loin de Francfort, Lennart Karl avait auparavant passé 5 ans à l'Eintracht, où il avait débarqué à 9 ans. Officiellement, son arrivée au Bayern fut gratuite. Dans les faits, selon les informations de l'hebdomadaire Sport Bild, les Bavarois déboursèrent la bagatelle de 35 000 € d'indemnité de formation, partagée entre l'Eintracht et le Viktoria Aschaffenburg, le club de son enfance, histoire de ne fâcher personne. Puis maintinrent le jeune homme sous les radars en le protégeant de l'extérieur, contrairement à un Lamine Yamal en Catalogne.
Si le Bayern a peiné à sortir des jeunes depuis Thomas Müller, avec Max Eberl et Christoph Freund à la direction sportive, le club dispose de deux formateurs qui s'y connaissent en jeunes talents. Le premier a montré ses qualités dans ce secteur à Mönchengladbach, le second à Salzbourg. De fait, les trois gamins sur lesquels les deux hommes ont concentré leur attention cette saison se mêlent à part entière à la rotation de l'effectif professionnel : le défenseur central Cassiano Kiala, 16 ans, l'ailier gauche germano-nigérian Wisdom Mike, 17 ans, tous deux internationaux U17, et évidemment Lennart Karl, le plus en vue du trio. « La qualité des séances d'entraînement ne diminue pas lorsque ces garçons y participent », insiste Max Eberl. « C'est le meilleur compliment qu'on puisse leur faire. »
Hype pour le Mondial
Karl, le plus âgé des trois, est aussi le plus avancé dans son développement. « Il est vraiment bon, affiche une grande confiance en soi et dispose de qualités toutes particulières dans le dernier tiers du terrain », apprécie Christoph Freund. « Et, pourtant, ce n'est pas toujours facile de composer avec une hype pareille. » Le gamin d'1,68 m est effectivement la sensation de la première partie de saison, et pour cause : Auteur de buts tous aussi spectaculaires les uns que les autres, tant en amicaux de préparation d'abord – avec un bijou enroulé contre Tottenham, le 12 août (4-0), avant de récidiver contre les Grasshoppers quelques jours plus tard (2-1) – qu'en Bundesliga et en Ligue des champions – où il a battu le 22 octobre le record de précocité de Jamal Musiala comme plus jeune buteur du Bayern dans la compétition –, “Lenny” est au centre de l'attention et un observateur aussi attentif et aussi écouté que Lothar Matthäus réclame déjà sa convocation en équipe nationale pour le Mondial 2026.
« Pourquoi faudrait-il attendre ? », demande Franck Ribéry, l'un de ses illustres prédécesseurs. « Pourquoi faudrait-il prendre du temps ? En football, il n'y a pas le temps ! », s'exclame Kaiser Franck. « Le Mondial ? Et pourquoi pas ? J'espère qu'il va continuer comme ça. S'il est prêt, inutile d'attendre », affirme le Français. « Lennart est en avance sur Lionel Messi au même âge », assène de son côté Rudi Völler, tandis que d'autres comparent le talent du jeune Allemand à celui de Lamine Yamal.
Ballack en gestionnaire
Dans le jeu, Karl a très vite développé une complémentarité avec ses partenaires, en particulier avec Michael Olise. Une réussite à court terme que le Bayern entend ménager également sur le long terme. Il a concocté pour son joyau, l'été dernier, un contrat de trois ans qui, le jour de ses 18 ans, se prolongera automatiquement jusqu'en 2029. C'est un certain Michael Ballack qui s'occupe des intérêts du jeune homme. Dès le Mondial des clubs, il y a six mois, il était entendu que Karl serait cette saison la doublure d'Olise, de telle sorte que le Bayern put, alors, renoncer à tout recrutement dans ce secteur de jeu.
Tout en voyant à long terme, le club sait que son joueur doit encore développer son potentiel. Dans un domaine, au moins, outre celui du palmarès évidemment, il n'est pas encore l'égal de Messi : tandis que l'Argentin dispose de 10 000 m2 pour sa villa de Fort Lauderdale, Karl, en attendant que ses parents déménagent l'an prochain à Munich, demeure dans une chambre de 18 m2 au centre de formation du Bayern. Mais il ne peut déjà plus prendre son scooter : son visage est désormais trop connu dans les rues de la capitale bavaroise.