Mbappe à Madrid : Identité de jeu madridiste et compromis tactique
C’est désormais officiel, après Bellingham l’été dernier, le Real Madrid ajoute un nouveau joyau à sa couronne de roi incontesté du football mondial. Au-delà du raz-de-marée médiatique qui a accompagné le post sobre et laconique du club Merengue sur les réseaux sociaux hier soir, une question s’est vite posé dans l’esprit de tous les amoureux de football : Comment intégrer Kylian Mbappe à cette armada championne d’Europe ?
Pour essayer de donner des pistes, il convient d’abord d’essayer de trouver des parallèles dans l’histoire plus ou moins récente de la Casa Blanca, car c’est bien connu "si je sais d’où je viens je sais où je vais".
4-3-1-2 – Football héritage
Même si le système doit être distingué de l’animation, le 4-3-1-2 est, par définition, vertical, avec 3 joueurs très offensifs, proches les uns des autres, au contact de la dernière ligne adverse ou prompt à attaquer l’espace dans son dos. C’est le système du Real aujourd’hui, mais également celui qui a marqué son histoire récente.
Madrid a remporté cinq des neuf dernières Ligues des Champions distribuées, en faisant souvent usage de ce système (variant parfois avec le 4-3-3), mais finalement toujours dans la même optique : Offensivement, se donner la possibilité de massacrer dans la profondeur un adversaire imprudent, par le tranchant de Cristiano et Bale (mais également de profils dynamiques comme Modric ou Carvajal). À cette option, s’ajoutait la maestria de Benzema, mais également d’Isco, remplacés numériquement par Bellingham aujourd’hui.
La qualité technique des Ramos, Marcelo, Kroos, permettait au Real d’alterner les registres entre possession et verticalité, jusqu’à toucher un certain état de grâce, comme lors du fameux match si maîtrisé à Turin, remporté haut la main 3-0 (2018). Le Real se dirigeait alors vers son 3e sacre consécutif.
De l’autre côté du terrain, le Real est tout aussi décisif, avec ses mythiques paires de défenseurs centraux Ramos – Varane / Ramos – Pepe, et le volume titanesque de Casemiro, doublé d’un sens de l’effort et des moments de vérité, qui font partie, autant que le prestige et le star système, de l’identité Madridista. Les deux se confondant dans ce qu’on peut appeler le panache.
Mbappe s’inscrit dans toutes ces traditions : football vertical et décisif dans les deux surfaces et le sens du geste essentiel dans les moments de vérité. Le mariage sonne ainsi on ne peut plus logique.
Mais le Real a changé et s’il a su reconquérir le trophée continental sans Ramos ni Cristiano (deux joueurs sans pareil au moment de protéger ou de menacer un but), c’est dans un style toujours vertical, mais certainement moins dominant (ou du moins seulement par séquences).
En 2022, année du premier sacre post-CR7 de la maison blanche, le PSG revendique 21 tirs à 3 à l’aller en 1/8e face au Real. Chelsea, City et Liverpool le "domineront" également dans les mêmes proportions statistiques sans toutefois l’empêcher d’aller au bout, tant les espagnols ont su se montrer efficace dans les moments de vérité.
La cohabitation avec Vini et Bellingham et la question du côté gauche
La question évidente qui se pose avec l'arrivée de Mbappe à Chamartin : Qui va jouer où, entre lui et Vinicius Jr., leader d’attaque du Real post-Cristiano ?
Dans des styles légèrement différents, les deux droitiers partagent une caractéristique : la zone dans laquelle ils aiment venir chercher le ballon, pour le recevoir dans les pieds : l’aile gauche.
Servi à l’arrêt dans cette zone, loin du but, mais surtout loin (le plus possible) de son latéral, le Brésilien va montrer lors de la démonstration de force face au séduisant Girona, toute sa palette depuis cette zone :
- Un but sur frappe de loin
- Une passe décisive remarquable, pour Bellingham en profondeur
- Un festival de dribble après une prise de vitesse
Sur ces 3 buts, Bellingham est quasiment le "9" du Real, et on peut s’apercevoir qu’il évolue dans un registre beaucoup plus vertical qu’Isco et plus proche du but que Benzema, habitué en son temps aux décrochages et aux multiples dézonages.
Premier élément déterminant sur l’ouverture du score de Vinicius face à Girona : la menace de la profondeur, qui tient en respect Ivan Martin, alors latéral de fortune sur cette phase de transition où le ballon est porté par Valverde (relayeur).
Comme on le voit sur la capture précédente, Eric Garcia, central côté ballon (donc censé couvrir son latéral), est mobilisé par l’Anglais, qui va attaquer la profondeur dans sa zone. Privant ainsi son latéral de couverture, et l’incitant à reculer.
Le deuxième but est également riche en enseignement sur la zone préférentielle de chacun :
Ferland Mendy parvient à enchainer très vite et à trouver Vinicius dans les pieds. Le Brésilien se retourne et Yan Couto (latéral droit) a toutes les peines du monde à le cadrer.
Logique : à nouveau, Bellingham, comme un avant-centre, attaque dans le dos d'Eric Garcia d’une façon assez menaçante pour l’embarquer et ainsi priver son latéral d’un soutien nécessaire en cas de dribble. Yan Couto ne peut donc pas se jeter et d’une inspiration géniale, Vinicius en profite pour lancer Bellingham en profondeur, sans que l’Anglais ne soit pour autant hors-jeu, rendant Eric Garcia doublement inutile : il fait reculer le hors-jeu et n’apporte pas de densité autour de la balle.
Ce qui compte sur ses séquences :
Vinicius aime partir de loin, que ce soit pour être servi au large dans les pieds, ou dans une position plus axiale, mais en étant lancé vers le but, et Bellingham lui ouvre de l’espace, tout en occupant une position légèrement à gauche.
Un registre – pour l’ailier brésilien - quasi-similaire à celui de Mbappe. Peut-être pas aussi bon passeur, mais dont le but face au Real en 1/8e aller décrit quasiment la même séquence logique, avec Eder Militao et Carvajal dans le rôle du latéral et du central, incapable de le couvrir.
Bien entendu, le rôle (et la zone) occupés par Bellingham siéraient relativement au Français, mais l’Anglais semble épanoui dans ce costume de quasi-attaquant. Deux sièges pour trois ? Il ne resterait donc que l’aile droite de Rodrygo, que le Bondinois a occupé entre 2016 et 2018 avec Unai Emery et Didier Deschamps.
Déstructure et transition défensive
Une option pas forcément si absurde que ça, quand on regarde le positionnement de Rodrygo sur certains buts du Real, où il vient jouer l’avant-centre. À commencer par le 3e but dans ce match face à Girona, où l’on voit dans quelle proportion le jeu penche à gauche.
En d’autres termes, l’embouteillage de talent côté gauche est déjà un problème pour le Real. Sur ce but, Rodrygo (ailier / attaquant droit du 4312 en théorie) ne va pas chercher à offrir une ligne directe vers la profondeur à son central droit (Tchouameni), ni à son latéral (Lucas Vazquez). C’est en occupant l’axe droit - alors que le Real prépare son action - que Bellingham permet à Rodrygo de venir occuper l’axe, puis surcharger le côté gauche.
C’est Bellingham qui va lui offrir une solution avec un remarquable contrôle sous pression. On remarque que Valverde est obligé de décrocher. Ce qui est important ici : Madrid n’a pas d’option directe vers la profondeur depuis son côté droit. Bellingham est à la fois le problème et la solution.
Une séquence qui donne du crédit à l’idée de remplacer, tout simplement numériquement Rodrygo par Mbappe. Bellingham va alors trouver appui sur Vazquez et le Real va réussir à s’installer dans le camp adverse. Quand Vinicius joue la touche, on retrouve Rodrygo, venu surcharger le côté gauche, comme une sorte de double ailier, et Bellingham dans l’axe, comme une sorte d’avant-centre.
Vinicius va réussir à prendre de la vitesse et à exécuter le pauvre Yan Couto dans le 1v1, alors qu’on voit à nouveau que Bellingham mobilise véritablement les centraux Eric et Juanpe.
Mais c’est d’un point de vue transition défensive que ce but est intéressant :
Quand on regarde cette image "radar" de la capture ci-dessus, on peut constater que "l’entassement" ou la "déstructure" du Real – condition sine qua non à la cohabitation [Vinicius – Mbappe – Bellingham], met potentiellement le Real en grand danger en cas de perte de balle. Avec beaucoup de joueurs entassés sur l’aile gauche (Kroos, Mendy, Rodrygo, Vinicius), le Real se retrouverait à découvert en cas d’interception, ou de circuit rapide vers le côté opposé.
C’est ce qui se passe d’ailleurs face à Man City en 2022, un match – en quelque sorte, tactiquement perdu deux fois (en 2022 et en comptant la déculottée, bien réelle, de 2023) par la Casa Blanca. Car il faut rappeler que lors de cet affrontement face aux Anglais, jusqu’à cinq minutes avant le coup de sifflet finale, le score cumulé était de 5-3 pour City… avant que Madrid ne joue son va-tout, en entassant les attaquants avec succès.
Pour poser l’enjeu brièvement : le jeu du Real consiste à surcharger un côté pour libérer un joueur et à en faire affluer en masse du côté opposé. Dans ces conditions, la pointe basse du milieu devient vite le seul garant de l’équilibre, tout en étant attiré par le ballon, étant donné que le Real combine au large. C’est le cas de Kroos ici.
L’enchainement du but en contre de City et du but de Vinicius, lors de l’aller 2021, est l’illustration de ce parti pris à double tranchant :
Le but de City en contre :
Alors que F. Mendy cherche Vini dans les pieds sur l’aile, le ballon est chipé par Fernandinho. On voit bien que Kroos et Modric sont aspirés vers le côté du ballon (pour faciliter la libération de Vinicius), alors que Benzema et Rodrygo sont relativement déconnectés de ce processus.
Sur ce but encaissé, le Real paye son absence de présence intérieure. Mais quelques minutes plus tard, le même parti pris lui apporte un but :
Grâce à une équipe ultra-étirée en largeur et capable de faire circuler le ballon sous une pression massive, le Real réussit à faire sortir Ruben Dias, obligé de suivre Modric, en position de 10.
Nacho reçoit le ballon sous pression maximale de Mahrez. De l’autre côté du terrain la défense est toujours en place. On retrouve Modric en position de 10, un rôle qui pourrait revenir à Bellingham si Mbappe devait jouer avant-centre.
Quand on compare les deux set-ups initiaux, on voir que les risques qui provoquent un but encaissé à gauche, sont ceux qui payent à droite, à quelques minutes d’intervalles (53’ – 55’).
Et c’est bien là l’identité structurelle du Real Madrid : un club où le modèle est ajusté en fonction des stars et non l’inverse, comme chez son adversaire du soir.
Mbappe serait bien un problème… mais un problème qui existe déjà
Avec Vinicius ailier gauche ultra-installé, deux possibilités s’offrent au Real :
- Remplacer numériquement Rodrygo par Mbappe au poste d’ailier droit : auquel cas le Français ne se retrouverait à gauche que par intermittence. Une intermittence néanmoins fatale à City dans les derniers instants du retour 2022.
- Faire reculer Bellingham d’un cran (donc dans le rôle de Modric ci-dessus), pour installer Mbappe avant-centre (Bellingham est en quelque sorte l’avant-centre aujourd’hui) en gardant Rodrygo ailier droit. Ce qui révèlerait d’une certaine justice sportive pour l’autre ailier brésilien, buteur déterminant dans le gain de la C1 2022
Dans les deux cas, le style de la Casa Blanca restera surement le même, avec ses avantages et inconvénients :
Surcharge du côté ballon (le plus souvent à gauche), asymétrie / disproportion marquée (qui peut être un avantage ou un inconvénient comme vu plus haut).
Mbappe à droite pourrait aussi représenter une menace plus crédible dans la profondeur. On l’a vu tout au long de cette analyse, le Real finit souvent par travailler à gauche par manque de "crédibilité de jeu direct" à droite.
Et se retrouve parfois dénudé sur son flanc droit (comme sur l’énorme occasion de Grealish en 2022), alors que même son 6 peut se retrouver à être aspiré par le ballon à gauche (comme on le voit plus haut avec Kroos).
Dans tous les cas, et c’est l’un des points majeurs de concordance entre la réalité de Mbappe et celle de Madrid, irrémédiablement attirés l’un à l’autre, les moments de vérité écrivent l’Histoire du foot, même lorsque Man City a – d’un point de vue rationnel – tout prévu, contre un Real à la planification "a-tactique"…