Quel est le niveau réel du football en Suisse ?
À travers divers témoignages, Sky Sport s’intéresse à l’avenir de l’un des sports les plus populaires du pays.
Directeur du développement football au sein de l’Association Suisse de Football (ASF), Patrick Bruggmann déplore une régression de la Suisse, dépassée par ses concurrents belges et autrichiens à cause d’un manque de temps de jeu accordé par les clubs de la Swiss Football League aux joueurs âgés de 17 à 19 ans ces dernières années : « Nous avons clairement perdu du terrain dans la formation des joueurs. Ce sont des signaux d'alarme clairs que nous devons adresser le plus rapidement possible par une action conséquente si nous voulons continuer à avoir du succès. Cela ne sera possible que si l'ASF, la ligue et les clubs font face à cette situation et définissent ensemble des solutions le plus rapidement possible. Nous ne devons plus perdre de temps dans la formation ».
Analyste pour joueurs professionnels et suiveur du football suisse, Maxime Schär dénonce une problématique sociale qui trouve écho dans le bouleversement de la société suisse, en particulier chez les jeunes footballeurs : « Si la Nati actuelle peut se targuer d’avoir des joueurs hyper à l’aise face au pressing adverse, c’est une qualité qui manque au joueur moyen de Super League tandis que le vivier national manque de latéraux ». Au niveau tactique pure, un changement dans le modèle de formation s’impose selon notre spécialiste : « Il faut travailler sur l’utilisation du pressing en possession de balle et savoir comment - grâce à leurs mouvements - les jeunes peuvent sortir du pressing de l’adversaire… C’est une alternative à la disparition du football de rue qui, bien que présent dans certaines banlieues françaises, permet de donner une vitesse d’appuis unique à ses joueurs (qualité qui ressort mieux chez les sélections françaises). L’instauration par l’Association Suisse de Football chez les plus jeunes du format de jeu « Play More Football » devrait faire évoluer les choses. »
Alors comment assurer une transition fluide entre l’équipe première et le centre de formation ? Notre expert Maxime Schär propose sa solution : « Les clubs de Super League gagneraient à voir leurs jeunes plus souvent prêtés en Challenge League : évidemment que tous n’ont pas le niveau, mais c’est pour moi l’étape idéale entre une équipe réserve de 1ère Ligue Classic ou de Promotion League et le groupe pro de Super League car le saut est vachement conséquent au niveau de l’intensité. L’exemple parfait du moment, puisqu’il s’est maintenant imposé au Lausanne-Sport, c’est Karim Sow (prêté au Stade Nyonnais la saison dernière) ».
À l’étranger, la Suisse du football reste perçue comme un tremplin comme nous le confirme Bruno Skropeta, directeur général adjoint de l’AS Monaco entre juillet 2012 et avril 2019 : « La Swiss Super League est une fenêtre pour des joueurs en développement issus des cinq meilleurs championnats européens et qui peuvent grandir sans la pression auquel ils seraient confrontés dans leur pays respectif. Un championnat, tu le juges à ses locomotives donc tout est lié aux moyens économiques. Dès qu’un club helvétique fait grandir un talent, il ne peut pas le garder et l’éternel problème de l’inconstance ressurgit… Après avoir vendu tes meilleurs joueurs, tu dois à chaque fois tout recommencer à zéro. »
Même les quelques pics émotionnels comme l’exploit des Young Boys face à Galatasaray en barrages pour participer à la coupe aux grandes oreilles ou la qualification en demi-finale de l’UEFA Conference League du FC Bâle la saison dernière reste un révélateur de clubs qui travaillent sur leurs points forts, le niveau de jeu moyen restant quand même inférieur aux autres championnats intermédiaires comme le confirme Bruno Skropeta : « La Super League est par exemple en dessous du championnat de Belgique, ne serait-ce qu’économiquement parce que quand le Sporting d’Anderlecht (club le plus titré) décide d’aller chercher un joueur en Suisse, ils y parviennent » à l’image d’un Ardon Jashari passé du FC Lucerne au Club de Bruges contre six millions d’euros cet été.
Passé par la Jupiler Pro League, le buteur belge d’Yverdon Sport Mitchy Ntelo nuance : « Dès mon 1er match, j’ai été très surpris de l’impact physique mis par les défenseurs parce qu’ils ont vraiment été à la charge et tu sens le travail tactique derrière… je ne vais pas te mentir, j’étais à la rue et j’ai été bousculé comme jamais auparavant. C’est un championnat très compliqué. Je ne m’y attendais pas. Depuis que je suis arrivé en Suisse, j’ai gagné en masse musculaire. D’ailleurs, l'important travail tactique réalisé hors-terrain est aussi à souligner ».
Alors, que manque t-il au football suisse pour lui permettre de progresser ? Recruteur expérimenté passé par Liverpool, Tottenham, Villarreal et le FC Valencia, Antonio Salamanca évoque la régularité et la visibilité offerte aux clubs : « Le problème est assez varié. La Super League ne possède déjà que douze clubs. Avant, le FC Bâle marchait sur tout le monde, aujourd’hui le FC Zürich est en tête et la saison dernière les Young Boys se sont retrouvés à disputer un barrage pour la Champions League alors qu’ils sont actuellement 11e au classement général… Les équipes suisses manquent de cette constance qui leur permettrait de réaliser un parcours européen qui leur assurerait une visibilité positive pour la popularité du championnat et l’économie générale des clubs suisses ».
Un épanouissement national qui doit profiter à la Nati selon Antonio Salamanca : « Aujourd’hui, la Suisse n’a rien à envier à la sélection des Pays-Bas ou de la Belgique. La seule différence avec les Néerlandais, c’est qu’ils parviennent à avoir une continuité que n’a pas le football helvétique. La qualité des joueurs suisses est incontestable, ces derniers doivent maintenant croire en leurs capacités, chose qu’ils ne font peut-être pas aujourd’hui… »