Pourquoi les clubs de football saoudiens misent-ils désormais sur les jeunes joueurs?
Riyad plutôt que Munich : que Kingsley Coman, en plein âge d’or footballistique, parte en Arabie saoudite, ni le joueur ni le Bayern Munich ne l’avaient imaginé en début d’été. Le club allemand, recordman des titres nationaux, comptait toujours sur le Français, qui avait même déjà annoncé son intention de rester. Mais le salaire XXL proposé par le club d'Al-Nassr (où Coman doit encore passer sa visite médicale) a fait réfléchir le joueur de 29 ans — et ce n’est pas le seul exemple de la nouvelle stratégie adoptée par la ligue saoudienne, largement financée par l’État.
Pendant longtemps, ce sont surtout les stars vieillissantes mises à l'écart qui trustaient les rumeurs transferts, du côté de la Saudi Pro League, obtenant un pactole dans les dernières années de leur carrière. L’ancien Ballon d’Or Cristiano Ronaldo, par exemple, avait rejoint le Golfe en 2023 à l’âge de 37 ans. Pour Sadio Mané, alors écarté au Bayern, ou encore Neymar, le dribbleur brésilien souvent blessé — tous deux âgés de 31 ans lors de leurs transferts —, il n’y avait guère de prétendants en Europe prêts à satisfaire leurs exigences salariales.
Mais depuis peu, les nouveaux arrivants dans le championnat saoudien affichent un tout autre nombre d'années au compteur. Cet été, Darwin Núñez, également courtisé par Naples, champion d’Italie en titre, a choisi le club saoudien d’Al-Hilal plutôt que de rester à Liverpool, à seulement 26 ans. Le départ du joueur de Stuttgart Enzo Millot, âgé de 23 ans donc pas encore arrivé à "son prime", vers Al-Ahli a également surpris de nombreux supporters.
À cela s’ajoutent de plus en plus de jeunes talents qui quittent l’Europe avant même d’avoir réellement percé. L’attaquant Jhon Durán n’avait que 21 ans lorsqu’il est passé d’Aston Villa au club d’Al-Nassr de Ronaldo en janvier. Marcos Leonardo, lui aussi âgé de 21 ans, a rejoint Al-Hilal à l’été 2024, alors qu’il n’avait débuté que trois fois avec Benfica en championnat portugais. En Arabie saoudite, le Brésilien a brillé : lors de la Coupe du monde des clubs, il a inscrit un doublé dans la victoire surprise contre Manchester City.
La Saudi Pro League (SPL) ne cache pas qu’il y a eu un changement de stratégie dans son recrutement. En 2023, la ligue a lancé un programme baptisé "Player Acquisition Centre of Excellence" (PACE), que l’on pourrait traduire par "centre d’excellence pour le recrutement de joueurs". Selon ce plan, la politique de transferts des 18 clubs est coordonnée directement par la ligue, afin d’éviter des ruptures de contrat coûteuses et afin de rajeunir les effectifs.
Il y a deux ans, l’âge moyen des joueurs étrangers était de 29 ans. L’objectif est désormais de le réduire, car la Saudi Pro League veut faire partie des dix meilleurs championnats au monde. Une ambition élevée, mais qui joue un rôle central dans la stratégie de l’Arabie saoudite. Sous l’impulsion du dirigeant Mohammed ben Salmane, le pays mène depuis plusieurs années une vaste réforme économique baptisée "Vision 2030", destinée à réduire la dépendance au pétrole. Cela passe par une ouverture au tourisme et au divertissement — longtemps interdits dans ce royaume ultraconservateur — mais aussi par un accent fort mis sur le sport.
D'après ses détracteurs, le gouvernement de Riyad chercherait aussi, au-delà des objectifs économiques, à soigner son image à travers ce qu’on appelle le "sportswashing". Car malgré certaines réformes, les ONG de défense des droits humains dressent régulièrement un bilan sévère du pays, qui avait fait la Une internationale après l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. L’an dernier, 345 personnes ont été exécutées en Arabie saoudite — un record depuis plus de trente ans, selon Amnesty International —, parmi lesquelles de nombreux étrangers condamnés pour des délits liés à la drogue, mais aussi des journalistes critiques envers le régime.
Dans le cadre de cette ouverture partielle, les femmes ont également obtenu davantage de droits : depuis 2017, elles peuvent pratiquer du sport en public et participer à des compétitions. Elles étaient déjà présentes dans certaines compétitions internationales, mais ce n’est qu’avec les récentes réformes que le sport féminin a commencé à être accepté et pratiqué plus largement au sein de la société. Depuis 2022, il existe même un championnat de football féminin professionnel, où jouera bientôt Dzsenifer Marozsán. L’ancienne internationale allemande a rejoint cet été le club d’Al-Qadsiah.
Malgré les critiques, l’Arabie saoudite continue d’investir massivement dans le sport. Le royaume accueillera la Coupe du monde de football en 2034. Le fonds souverain PIF détient la majorité des parts de plusieurs clubs du championnat national et a racheté en 2021 le club anglais de Newcastle United (où évolue Fabian Schär). Le pays injecte également des sommes colossales dans le golf, le tennis, les sports mécaniques et les sports de combat.
D’un point de vue financier, rares sont les joueurs ou les clubs capables de résister aux offres saoudiennes. Enzo Millot devrait toucher environ 10 millions d’euros par an à Al-Ahli — et sans aucun impôt, l’Arabie saoudite n’appliquant pas d’impôt sur le revenu. Quant au VfB Stuttgart, il empoche 30 millions d’euros, soit plus que prévu. Millot aurait pu partir pour 10 millions de moins grâce à une clause libératoire, mais celle-ci ne concernait que les clubs des grands championnats européens.
Reste à savoir si l’Arabie saoudite parviendra à atteindre ses objectifs à long terme et si des joueurs comme Enzo Millot trouveront leur bonheur dans le Golfe. L’exemple de Jhon Durán montre à quelle vitesse certains peuvent regretter leur choix malgré les salaires faramineux. Six mois seulement après son transfert (pour 77 millions d’euros), le Colombien a déjà quitté Al-Nassr et joue depuis cet été en prêt à Fenerbahçe.