Yann Sommer vs Barça : La plus grande performance de gardien de l’histoire moderne de la Champions League ?
Logiquement homme du match, avec trois horizontales surréalistes face à Garcia, et par deux fois Lamine Yamal, le portier helvète a maintenu l’Inter en vie, contribuant à la légendaire qualification des Nerazzuri. Alors que Courtois, lors de la finale 2022, ou encore Alisson, cette année au Parc, peuvent également revendiquer ce titre honorifique, Sommer - qui ne culmine qu’à 1m83 - est clairement dans la conversation avec trois arrêts athlétiquement et techniquement extraordinaires
Qu’est-ce qu’un tir et qu’est-ce qu’un arrêt ? L’enjeu de moult développements au moment d’établir le rapport de force entre pressing et sortie de balle, ou au moment de juger de l’équilibre d’une équipe à la perte de balle, réside dans la création ou la génération d’un temps d’avance.
D’une façon ou d’une autre, qu’on le crée par une attaque placée ou une interception assassine, ce temps d’avance doit être conservé. Et ce jusqu’au geste final. C’est son utilité et son sens. Il doit permettre au buteur (du moins à l’auteur du dernier geste) de bénéficier de plusieurs options, pouvant ainsi masquer ses intention - alors que la cage fait 7m32 de large, et 2m44 de haut - et de choisir, en fonction de l’anticipation (et des indices gestuels) du gardien, le bon endroit pour loger le cuir.
Quand bien même la puissance ferait la différence, il faut du temps pour la générer, ou la garder, sur une tête ou une volée. Le centreur ayant alors la charge d’utiliser le temps d’avance pour (pouvoir) mentir, et choisir. C’est à ce moment qu’intervient le gardien. Et qu’il peut, ou plutôt qu’il doit, peser sur le match.
En compensant, par sa coordination, sa rapidité, et son envergure, l’obligation qu’il a de retarder son départ. Sous peine d’être pris à contre-pied, alors que le finisseur adverse bénéficie de ce fameux temps d’avance, généré, d’une façon ou d’une autre.
C’est ce qu’a fait Yann Sommer à trois reprises hier, dans des proportions surréalistes, alors que le Barça avait, par différent leviers – à commencer par la vitesse d’exécution de Yamal, largement discutée ici – produit et gardé ce temps d’avance. Le Suisse créant ainsi une stupéfaction, extatique pour les uns, et apocalyptique pour les autres. Et une véritable sensation pour le téléspectateur, dans un match épique.
Reprise d’appui et lecture du jeu
Sur le premier de ses trois miracles, le temps d’avance est produit par une contre-attaque post-corner défensif du Barça. Une situation particulièrement précaire collectivement : En quelques secondes, les Interistes vont se trouver à deux contre trois.
Alors que Pedri conduit le ballon, il n’est pas tout à fait en capacité de tirer, sans marquer un minimum un temps d’arrêt. Une condition que Pedri n’est pas loin de remplir, d’où l’attitude attentive de Sommer. Focalisé sur la balle, Il se tient prêt à faire face au joueur qui va être choisir par Pedri.
Une étape en théorie consacrée à l’observation et à l’analyse, tant la nécessité de temps pour produire l’armée de la frappe doit rendre le geste lisible, et arrêtable.
Pour autant, à titre d’exemple, bien que bénéficiant de ce temps pour mettre en œuvre son envolée, Donnarumma, face à McGinn, n’avait pas pu toucher la frappe légèrement lobée du volcanique Écossais. Un peu lourd, et pas assez coordonné pour réajuster, l’Italien avait dû s’incliner.
Décalé à gauche, Gerard Martin, s’oriente donc pour finaliser, arme, lève sa jambe gauche, et a donc la possibilité de frapper aux quatre coins du but, comme de passer en retrait.
Sommer doit alors produire ce que les gardiens appellent "la croix", ou "la garde en croix" et tenter, à la fois, de se transformer en mur pour boucher un maximum d’espace, tout en se donnant la possibilité :
- De déployer un bras salvateur à la Neuer
- De se ré-axer pour défendre un éventuel centre en retrait.
Une étape souvent fatale au gardien, et qui sollicite à la fois une certaine lecture du jeu, et du langage corporel du porteur, comme une capacité à se réaxer, tout en restant explosif.
Après s’être informé, le latéral Masian choisit donc intelligemment la passe en retrait. Un choix souvent fatal pour le gardien, souvent assigné (comme vu ci-dessus), et sans trop de réflexion (un point certainement fondamental), à la couverture ultra-prioritaire de son premier poteau.
Un prérequis pas totalement respecté par Sommer, même si la position de Gerard est assez axiale (ce qui ouvre la possibilité de croiser), ce qui lui permet de vite reprendre une autre direction, par urgente nécessité.
Le Suisse manque d’ailleurs de perdre l’équilibre, et prend un temps appui sur son bras gauche – avant, croit-on alors, d’être fusillé à bout portant par Garcia, latéral d’un soir.
Si la reprise du Catalan aurait pu être mieux placée, elle n’en reste pas moins surpuissante, et très loin de Sommer.
Alors qu’il n’a pas vraiment le temps d’organiser son corps pour bien pousser sur ses jambes, il va détendre ses bras tout en produisant le gainage suffisant pour repousser le ballon, sans que l’énergie cinétique de celui-ci ne rompe le barrage. Ce qui arrive parfois à des gardiens sur des appuis bien moins précaires…
Un premier moment d’Histoire, à la limite du possible, avec une excellente lecture "tactique" des évènements, et une remarquable capacité motrice à reprendre vite des appuis totalement différents de ceux qui auraient pu servir à bloquer une frappe de Gerard.
Retarder, trépigner et exploser
On l’a vu en long en large et en travers, lors de la preview de cette demi-finale, et tout au long de la saison : Lamine Yamal se distingue par une inouïe vitesse d’exécution.
Comme Sommer en a fait la pénible expérience à Montjuic - où l’Inter n’avait tiré qu’une fois dans le jeu - il n’est pas rare que le portier se voit instantanément congelé dans sa position pré-plongeon tant les ballons partent vite – et sans trop d’indice dans l’armée – du pied gauche du Masian.
Ainsi, lorsqu’il est touché – comme souvent, à l’extra-passe – au bout d’un circuit placé à la 76e, alors que son latéral dédouble, pour désorienter encore plus un Carlos Augusto déjà en difficulté, Yamal va se trouver en position optimale, pour ajuster les savantes (et soudaines !) trajectoires dont il a le secret.
D’abord orienté pour lancer Garcia un scénario que Sommer doit bien évidemment envisager et lire, alors qu’il "serre" sur son premier poteau, l’ailier champion d’Europe va subitement rentrer, et faire parler sa promptitude à dégainer.
Repris dans un premier temps par Mkhitaryan, Yamal, comme on l’avait vu, n’est pas hyper à l’aise pour dribbler sur sa gauche, mais l’est extrêmement pour tirer. Dans l’orientation marquée (vers la gauche) qui le caractérise, les épaules carrément vers la ligne de touche opposée, Yamal a toujours la possibilité d’aller chercher le premier poteau.
Sommer doit donc, tout en restant tonique et explosif, et en en maintenant une posture qui lui offre équilibre et dynamisme, se tenir prêt à bondir et à s’étendre de tout son long, d’un côté ou de l’autre en fonction de la sentence du prodige Masian.
Alors qu’il aurait certainement pu choisir le premier poteau, Yamal choisit le côté ouvert avec sa soudaineté habituelle.
Remarquablement, Sommer enchaine quatre petits "pas chassés" en une fraction de secondes, pour choisir (le plus tard possible !) le meilleur point d’impulsion, et détendre son corps - pas si grand - du mieux qu’il peut.
Yamal va finalement choisir l’enroulée légèrement lobée qui est l’une de ses signatures. En fouettant le ballon de la tranche du pied, il lui donne la trajectoire fuyante recherchée, environ à 70 cm du poteau opposé à celui que Sommer protégeait, il y a encore deux secondes.
Apte à produire ces déplacements latéraux ultra-rapides et dynamiques – tout en conservant l’écartement de ses jambes propice au bond - sans jamais offrir à Yamal l’indication d’un sur-engagement à gauche ou à droite (à coup sûr puni par le Barcelonais), Sommer – d’un geste commun – s’étend et se détend, ou plutôt s’étend, tout en poussant sur ses jambes - et parvient à stopper la frappe équilibrée et puissante de Yamal, de sa main naturelle, la droite, sur sa droite.
Un arrêt qui met en valeur chez Sommer, à la fois la vivacité, la puissance, la coordination, et la lecture du jeu et du geste de Yamal. Un geste de très haut niveau.
L’horizontale soudaine
Le 3e miracle de Sommer porte également le sceau d’un placement intelligent et de déplacements toniques.
Alors que l’Inter, au-delà de l’épuisement, voit son pressing haut voler en éclat, le prodige catalan va à nouveau se trouver en position d’armer hyper rapidement, alors que le malheureux Augusto est sur le reculoir.
Sommer est obligé de considérer l’option premier poteau, étant donné l’aisance de Yamal à déborder son adversaire, et même à finir sauvagement du pied droit, comme Lunin en a fait la douloureuse expérience lors du clasico en Liga
Alors que le piston intériste parvient à dissuader Yamal de déborder, il réussit à garder l’équilibre et ainsi à également boucher le tir au premier poteau.
Alors que Bastoni revient en catastrophe, Yamal choisit de ne pas ajouter d’appui et prend sa chance sans parvenir à lober le ballon, certainement dissuadé par la tonicité latérale vue plus haut. On peut largement penser que si Yamal avait ajouté un appui, Sommer aurait compensé, par ses petits pas, l’angle que l’Espagnol allait ouvrir.
Connecté à chaque pas de son adversaire, le Suisse décolle après un seul appui, et s’étend de tout son long, avec la mobilité et le relâchement nécessaire pour recruter toute l’amplitude dont il a besoin, pour toucher ce ballon vicieux du bout des doigts, et le priver de caresser le petit filet.
Quelle place au panthéon moderne ?
Gardien référencé, et dont les coups d’éclats en sélection ont souvent été gâchés par des fins décevantes Yann Sommer avait certainement besoin d’une performance iconique comme celle-ci pour marquer les esprits, alors que l’Inter avait atteint la finale avec son prédécesseur, irrégulier à United, mais qui collait parfaitement avec le football d’Inzaghi.
Alors que ses pieds ont également fait d’énormes dégâts, notamment sur le 3-3, on peut véritablement être admiratif de la prouesse à la fois cognitive, technique et athlétique de Sommer face à un tel danger.
Si Courtois avait logiquement marqué les esprits avec une campagne 2022 absolument colossale, ses horizontales face à Salah et Mané portent bien moins le sceau d’une telle coordination, de par l’envergure naturelle du Belge, qui rend 17 centimètres à Sommer.
Alors que l’Inter, et ses artistes de milieux, quelque usés par le temps, était au supplice face au dynamisme du Barça, l’apport décisif est bien venu du dernier rempart.
D’un point de vue strictement quantitatif, ses horizontales sont d’ailleurs à lister au nombre de deux, ce qui n’enlève rien à sa performance également légendaire, mais à la table de laquelle Sommer a désormais son rond de serviette, espérant valider à Munich, par le plus beau des trophées, cet accomplissement, par définition, extraordinaire.