Le BVB de Terzic : l’adaptation permanente
Qualifié pour les demi-finales de la Champions League, malgré une saison en demi-teinte, certainement hors du top 4 de Bundesliga, le Borussia d’Edin Terzic présente un profil atypique. Plus prompts à détruire le modèle de jeu adverse qu’à imposer le leur, les Borussen – sortis en tête du groupe de la mort, et qualifiés après 5 journées – sont l’archétype cynique, disgracieux et nécessairement impopulaire de l’équipe de Coupe, toujours capable de sortir du chapeau un plan adéquat face à un adversaire supposé plus fort. Donnant à la saison du BVB une asymétrie remarquable, entre la décevante 5e place en BuLi et la brillante demi en C1.
Qui peut se vanter d’être invaincu face au Bayer Leverkusen cette année sur deux matchs ? Deux fois en ayant mené, deux fois rejoint dans les ultimes instants de la rencontre ? Pas grand monde. D’ailleurs, les rotations pratiquées par Xabi Alonso au retour (Wirtz et Boniface sur le banc) trahissent certainement les enseignements tirés par le technicien espagnol sur l’aller, maitrisé par un BVB qui avait marqué individuellement les deux meneurs de jeu du B04, comme nous l'avions détaillé, dans la troisième partie de cet article.
Avec des approches, des rythmes, des schémas, et des animations totalement distincts, le BVB est sorti vainqueur de la majorité de ses affrontements contre des équipes de son calibre voire de calibre supérieur cette saison, et dépit de failles structurelles indéniables.
Newcastle : le coup de maître décisif de Terzic
Avec seulement un petit point après deux journées de Ligue des Champions, le Borussia se présentait à St James Park pour la troisième journée avec l’obligation de ramener un résultat, face à une équipe qui venait d’étriller le PSG 4-1 (City et Arsenal également battu dans la même période) dans son style caractéristique : un jeu vertical et tranchant, basé sur une grosse densité axiale, avec une grosse utilisation du jeu long, et des coups de pieds arrêtés redoutables.
Malgré une entame un peu folle – comme pour rappeler que le turbulent Borussia ne rend jamais une copie parfaite – les jaunes et noirs vont climatiser la rencontre, face à une équipe qui ne s’épanouit que sur un rythme élevé et dans lequel le ballon va d’un but à l’autre du terrain.
Un premier temps chaud aura valeur d’avertissement, mais peu à peu, que ce soit dans l’utilisation du ballon, ou dans la façon de réagir à la perte (couvrir / protéger le but, plutôt que se jeter) Emre Can, positionné devant la défense du Borussia, va offrir une sécurité particulièrement précieuse dans le contexte vertical de Newcastle, faisant parler toute son expérience. L’Allemand est l’un des symboles de la plasticité de Terzic. Après sa sortie sur blessure, Salih Ozcan prendra le relai exactement dans le même registre.
En face, Bruno Guimares (base du triangle de Newcastle au milieu) est de plus en plus attiré vers l’avant au fil des minutes. Son rôle se situe entre le 6 et le 8, et il a l’habitude d’accompagner – juste ce qu’il faut – les contre-attaques de son équipe. Le Borussia va alors exploiter la dimension légèrement trop offensive de son rôle et tuer Newcastle en contre à deux reprises, décrochant la victoire à la surprise générale.
Sur trois séquences, la récurrence dans les partis-pris de Dortmund ne laissent pas de doute : ils savaient tout de l’adversaire :
D’abord à la 9e minute :
Le but de Nmecha à la 43e décrit la même stratégie, dans laquelle Bruno Guimares est clairement ciblé par Dortmund à la différence que ce but part d’une attaque rapide, et non d’une contre-attaque de Newcastle :
Ça ne saute pas forcément aux yeux, mais Bruno est trop haut pour aider si le ballon est perdu, et de toute façon clairement orienté vers l’avant, comme Joelinton et Longstaff
Nmecha in Newcastle 📐#UCL pic.twitter.com/SCYu1ZTAc2
— UEFA Champions League (@ChampionsLeague) November 7, 2023
Quand on fait le bilan, on constate que deux caractéristiques – objectives, ou intrinsèques -, et pas nécessairement négatives – de l’adversaire, à savoir un 6 un peu haut et une défense qui s’aligne quand elle court vers son but, ont été parfaitement intégrées au plan de match (et non de jeu) du BVB, avec, à la surprise générale, la victoire au bout.
Au retour, c’est une autre caractéristique de Newcastle (un 4-5-1 assez passif et zonale en phase de repli) qui sera exploité par Dortmund pour faire ce que ni Paris, ni Milan, ni Arsenal, ni bien d’autres n’ont fait : prendre 6 points aux Magpies.
L’Atleti étouffée
L’Atletico a choqué l’Europe en sortant l’Inter, malgré une première manche où les hommes d’Inzaghi ont offert un récital de domination territoriale et de transition défensive, face au 5-3-2/5-4-1 vicieux et réactif du Cholo. Le retour, arraché aux tirs but, semblait ouvrir la voie des demies aux Espagnols. C’était sans compter sur la capacité d’adaptation et de gestion des hommes de Terzic.
Le problème pour les adversaires européens du BVB : ils ne jouent pas contre Dortmund, ou du moins contre le Dortmund qui n’arrive pas à battre Heidenheim ou Mayence. Ils jouent une deuxième fois contre l’adversaire qui leur a posé le plus de problèmes dans les semaines précédentes. Dortmund change de peau, et reproduit les circonstances qui ont (déjà, auparavant) crée les conditions de l’inconfort de leurs adversaires.
À San Siro, l’Inter avait mis en lumière les difficultés du 5-4-1 / 5-3-2 de l’Atletico qui recule (en bloc bas et avec une défense flottante) à gérer les projections massives des milieux et attaquants adverses dans l’axe, comme à trouver une cible crédible et imprévisible (Griezmann) à la sortie de ces temps de jeu défensifs pénibles.
Avec Calhanoglu déjà au contact de Griezmann (voir la capture ci-dessus), et de Vrij en couverture, si marquer est difficile pour l’Inter (qui y parviendra finalement en transition), contre-attaquer l’est encore plus pour l’Atletico, dont chaque joueur est fixé / attiré vers le bas, comme l’indiquent les flèches ci-dessus.
Quel qu’il soit, un Intériste gardait le contrôle de Griezmann, alors que l’organisation de l’équipe et les projections en nombre faisaient flotter la ligne de 5, ouvrant l’espace entre elle et le milieu. À défaut, le milieu reculait, rendant encore plus hypothétique la transition offensive de l’Atletico.
En bon caméléon, Terzic va faire en sorte que les mêmes causes créent les mêmes effets. À l’aller, le 4-3-3 – à priori banal et stéréotypé du coach allemand, occupe l’espace d’une façon similaire à l’Inter. Adeyemi et Sancho (comme Darmian et Di Marco) étirent à souhait la défense à 5, tout en s’offrant l’option d’attaquer la surface. Autour de Füllkrug, ce sont les deux relayeurs Nmecha et Sabitzer qui tente de menacer (et de faire sortir/bouger) Azpi et Witsel, autour de Gimenez.
Dortmund va répéter ce plan, qui va payer en fin de match, à deux reprises. D’abord sur le but d’Haller (80e), où l’élément payant est clairement la tendance à reculer de la défense des Colchos.
Brandt ajustera et Haller finira en puissance :
Haller reducing the deficit ✊@BVB || #UCL pic.twitter.com/GQjFlDtRgs
— UEFA Champions League (@ChampionsLeague) April 16, 2024
D’ailleurs, la tête sur la barre de Brandt à la 95e se fera sur le même modèle de création d’espace.
Le match retour verra l’Atletico tenter de remonter sa ligne défensive, mais sans succès. Un succès tactique dans la mesure où le Borussia, en reproduisant les failles vues face à l’Inter, a forcé l’Atleti à faire ce qu’elle ne sait pas faire. Et de toute évidence, les incertitudes défensives l’ancien Borussen Witsel furent ultra-ciblées par Dortmund d’un point de vue offensif.
Perfection 😲#UCL pic.twitter.com/eACrzLfcwU
— UEFA Champions League (@ChampionsLeague) April 22, 2024
Un nouveau miracle ?
Milan, le Bayern, Leverkusen, l’Atletico, Newcastle, et bien d’autres sont autant d’équipes face auxquelles le Borussia a montré son adaptabilité tactique.
Il convient de préciser que dans un premier temps, l’Atletico presse en 4-4-2, avec Samuel Lino milieu gauche. L’Inter – certainement supérieur à Dortmund en terme de modèle – n’avait fait qu’une bouchée de ce premier pressing, déroulant son plan face au bloc bas. Dortmund ne peut en dire autant, et revendique des pertes de balle grossière, qui explique ce score riche de 5-4 sur l’ensemble des deux matchs. Comme PSG – Barça du reste…
Mais au-delà de l’aspect collectif – avec un effectif riche et dense – le Borussia peut aussi faire parler ses individualités, à commencer par Schlotterbeck, dont les tacles et les interceptions font merveilles, et qui réalise une saison majuscule. Au milieu, Sabitzer retrouve son meilleur niveau, et son ambidextrie a fait mouche face à l’Atleti, avec un but et une passe décisive du pied gauche. Assez pour (re)faire le poids face à un PSG que le BVB connait déjà, et qu’il aura sans doute (re)étudier sur le bout des doigts ?
Réponse mercredi soir, dans un match aller déjà décisif, où le Borussia devra absolument faire une première différence nette pour espérer surprendre à nouveau le continent en atteignant une 3e finale dans la plus belle des compétitions.